Gouvernement – Provinces : les 40% posent problème
Le gouvernement du Premier ministre Antoine Gizenga est encore loin de se conformer à la disposition constitutionnelle qui l’oblige à affecter 40% de ses recettes aux provinces. Des modalités pratiques de cette disposition constitutionnelle suscitent des divergences qui apparaissent clairement entre le gouvernement central et les exécutifs provinciaux. En plus, là où la Constitution parle de retenue à la source, mettant presque à l’écart le gouvernement dans le mécanisme, Kinshasa semble s’accrocher au vocable de la rétrocession, sans doute parce que ce dernier lui place en bonne position dans le mécanisme. L’absence de ce compromis autour de cette question bloque finalement l’exécution du budget 2007. Que de problèmes !
La disposition constitutionnelle prévoyant une affectation des 40% des recettes générées en RDC pour le compte des budgets des provinces devra encore faire l’objet d’une nouvelle série de concertations entre le gouvernement central et les exécutifs provinciaux.
Après avoir évité de justesse un bras de fer avec les institutions provinciales, le gouvernement a décidé, par l’entremise du ministère du Budget, de relancer les négociations en vue, sans doute, de garantir l’exécution du budget de l’Etat pour l’exercice 2007. A ce sujet, le ministre du Budget, Adolphe Muzito, a conféré hier lundi 13 août avec une délégation composée de gouverneurs de provinces et présidents des Assemblées provinciales. La rencontre - du reste informel – selon le ministère, a été consacrée à l’harmonisation des vues pour l’élaboration des prévisions budgétaires 2008 dans la mesure où le ministère du budget s’est fixé le défi de transmettre au Parlement le projet de budget 2007 dans le délai fixé par la loi, soit avant l’ouverture de sa session budgétaire d’octobre prochain. Bien entendu, les deux parties sont revenues sur le dossier encore en suspens de 40% des recettes générales au profit des provinces où elles ont été réalisées, par un système de retenue à la source tel que prévu par la Constitution de la 3ème République.
On les a donc vus détendus à la sortie de cette concertation, voulues de plus conviviales – ministre du Budget, gouverneurs de provinces et présidents des Assemblées provinciales. Pourtant, le compromis que l’on attendait au terme de cette rencontre n’a pas été au rendez-vous.
Approché par la presse, le porte-parole du collectif des présidents des Assemblées provinciales s’est montré évasif. « On a parlé évidemment des 40%. Et le point de vue du gouvernement est que les 40% ne sont pas discutables parce que c’est constitutionnel. Donc, le principe est accepté mais vu le chevauchement entre deux lois, l’ancienne et la nouvelle, il s’entend que beaucoup de réflexions doivent avoir lieu avant d’exécuter les 40%. Le ministre nous invite le 20 août pour matérialiser dans une discussion technique l’application de ces 40%», a déclaré François Kimasi, président de l’Assemblée provinciale du Bas-Congo et porte-parole des présidents des Assemblées provinciales de la RDC.
DES QUESTIONS SANS REPONSES
Cependant, la détente n’a pas éludé les vraies questions qui restent sans réponses après la trêve décrétée autrefois par les autorités provinciales autour du dossier de 40% des recettes à allouer aux provinces. En l’absence de ce compromis se profile un autre combat qui va davantage retarder la mise en œuvre de cette disposition, prévue dans la Constitution pour donner plus d’autonomie financière aux provinces.
Il y a donc une guerre sémantique autour des termes mêmes auxquels devait être identifié ce mécanisme constitutionnel. Car, le gouvernement semble privilégier la terminologie « rétrocession » en lieu et place de celle prévue dans la Constitution, à savoir la « retenue à la source ». Retenue ou rétrocession ?
La clé de l’énigme se trouve évidemment dans le vocabulaire consacré par la Constitution pour l’allocation aux provinces de 40% des recettes générées dans chacune de ces entités politico-administratives. En effet, ce concept confère, pense-t-on, champ libre aux provinces pour actionner le mécanisme de soustraction des 40% à l’ensemble des recettes réalisées dans la province au cours d’une période, alors que la rétrocession – si elle a été d’application telle que le propose le gouvernement – donnerait d’office un rôle primordial au gouvernement central dans le processus. Ainsi, seul à actionner le compte du Trésor pour déclencher le mécanisme de rétrocession, le gouvernement aura donc, en cas de rétrocession, un mot à dire dans le mécanisme tandis que, dans l’hypothèse de retenue à la source, sa marge de manœuvre serait bien étroite au bénéfice des provinces. D’où, estiment certains observateurs, l’enlisement dans lequel s’est retrouvé jusqu’à ce jour la série de concertations engagées à ce sujet par le gouvernement central.
A ce jour, les deux parties n’ont jamais trouvé des modalités d’appliquer l’obligation constitutionnelle de la retenue à la source des 40% au profit des provinces. En effet, l’article 175 de la Constitution dispose : «Le budget des recettes et des dépenses de l’Etat, à savoir celui du pouvoir central et des provinces, est arrêté chaque année par une loi. La part des recettes à caractère national allouées aux provinces est établie à 40%. Elle est retenue à la source ».
Au fait, les deux parties sont bloquées d’une part, par les mesures d’application devant traduire cette obligation constitutionnelle, et de l’autre, par une difficulté liée à l’incapacité de certaines provinces qui, en cas d’application de la retenue des 40% des recettes nationales à la source, ne seront pas en mesure de supporter les charges, car la retenue de 40% des recettes à la source implique ipso facto le transfert de certaines charges notamment l’enseignement et la santé. A noter que les recettes de certaines provinces ne sont même pas en mesure de supporter la paie des enseignants au niveau de la province.
« Il y a aujourd’hui un problème effectivement dans le fonctionnement du budget. Il y a deux budgets : celui de 2007 et celui de 2008. Pour le budget 2008, nous avons besoin d’une orientation nationale pour confectionner nos budgets en province. A ce sujet, des commissions sont mises en place et d’ici quelques jours nous reviendrons pour pouvoir commencer la réflexion avec le ministère du Budget. En ce qui concerne le budget 2007, il pose problème parce qu’il chevauche entre deux lois. Les prévisions de 2007 reposent sur la loi ancienne tandis que la nouvelle Constitution impose une autre vision. Et là les dispositions anciennes n’ont pas permis à ce qu’il y ait clarté dans la gestion », a dit le porte-parole des présidents des Assemblées provinciales, faisant allusion à l’élaboration du budget 2007. L’ on a tenu compte de la retenue des 40% par les provinces.
Ce qui compliquerait, selon lui, l’exécution du budget d’autant qu’il y a des rééquilibrages à faire nécessairement pour éviter la disparition de certaines provinces « non viables ». A ceci, s’ajoute le fait qu’il n’y a pas du tout d’ harmonie entre les budgets provinciaux et celui du gouvernement central. La plupart des budgets provinciaux ont été votés en retard, après le budget national.
LE JEU DE COMPROMIS
Pour contourner ces difficultés, les deux parties réfléchissent sur la possibilité d’une « Caisse de solidarité nationale », dans un premier temps, qui viendrait, en plus de la caisse de péréquation, renforcer les capacités financières des provinces ne génèrant pas suffisamment de recettes.
En effet, seules trois provinces contribuent à plus de 80% au budget national. Il s’agit du Bas-Congo (38%), Kinshasa (33%) et Katanga (19%). L’autre réalité est que les recettes générées par ces provinces ne reflètent pas la réalité de leurs économies. Le cas le plus éloquent est celui de la ville-province de Kinshasa, qui engrange pour son compte, à titre illustratif, des recettes pétrolières dont l’exploitation se fait dans le Bas-Congo et du diamant de deux Kasaï. Il en est de même du Bas-Congo qui perçoit des taxes sur les marchandises en importation destinées pourtant aux autres provinces.
Autant de distorsions qui conditionnent actuellement l’application de cette obligation constitutionnelle à une profonde refonte de la nomenclature des taxes publiques.
Outre des présidents et représentants des Assemblées provinciales, la rencontre d’hier lundi a réuni un échantillon représentatif d’exécutifs provinciaux, dont Alphonse Ngoyi Kasanji, gouverneur du Kasaï Oriental ; Célestin Cibalonza, gouverneur du Sud-Kivu ; Julien Paluku, gouverneur du Nord-Kivu ; Déo Nkusu, vice-gouverneur du Bas-Congo ; Delphin Kikuni, conseiller financier au gouvernorat du Maniema ; Pascal Malango, Direcab au gouvernorat du Kasaï Oriental…