La violence au Congo est au-delà des mots
Un mur du silence entoure les violences dont sont victimes les femmes au Congo. Des actions concrètes plus étendues doivent être engagées par l'Onu. La Cour internationale de justice doit poursuivre les auteurs des crimes.
Présidente de la Commission des droits humains de l'Association des juristes américains (1)
Si l'on veut mettre fin aux horreurs des récentes guerres au Congo - elles ont fait plus de morts que tout autre conflit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale -, l'indicible doit être dit.
Dans l'est de la République démocratique du Congo, les soldats gouvernementaux, les membres d'unités militaires du gouvernement renégat et des myriades de milices ont violé des milliers de femmes. Ils utilisent certaines d'entre elles comme esclaves sexuelles. Ils les traitent comme des bestiaux, ils n'hésitent pas à mutiler des femmes et des fillettes dont certaines âgées de trois ans seulement, détruisant leur vagin et d'autres organes internes.
Parfois, des hommes armés contraignent un père, un frère ou un mari à violer sa fille, sa soeur ou sa femme, ou encore obligent leur victime à manger la chair de ses parents assassinés par leur soin. Après ce genre d'épreuves, beaucoup de femmes se trouvent désespérément seules, alors qu'elles endurent les conséquences physiques et psychologiques du traumatisme qu'elles ont subi et doivent faire face à la misère, à une grossesse subie, à des enfants qu'elles n'ont pas voulus, au sida ou à l'ostracisme de leurs proches qui les rejettent parce que "malades" ou "souillées".
Qui sont les assassins et les violeurs, ces hommes qui, depuis plus d'une décennie, commettent des crimes épouvantables en totale impunité ? Beaucoup de ces "génocidaires" ont fui du Rwanda au Congo après avoir participé au massacre de 800 000 Tutsis en 1994. On trouve aussi, parmi eux, des rebelles rwandais, des membres de l'armée congolaise, ainsi que des hommes et de jeunes garçons enrôlés de force dans les milices.
Depuis le début de l'année, les violences ont entraîné le déplacement de plus de 350 000 personnes dans l'est du Congo. Récemment, encore des milliers d'autres personnes ont fui des combats entre des milices locales et des partisans de Laurent Nkunda, un général renégat de l'armée congolaise qui a refusé l'ordre de désarmer ses hommes. Déployée dans l'est du Congo, une force de maintien de la paix de l'Onu était supposée protéger les civils. On n'a guère prêté attention à son incapacité à protéger les femmes, en partie à cause du mur de silence qui entoure les violences dont elles sont victimes.
Les femmes de l'est du Congo sont totalement en dehors du processus de décision qui génère le conflit qui détruit la vie d'un grand nombre d'entre elles. Elles n'ont aucun pouvoir économique ou politique dans une société qui leur accorde peu de valeur.
Le gouvernement congolais n'a pas fait beaucoup d'efforts pour traduire en justice les responsables de ces atrocités. De nouvelles lois ont bien été édictées pour donner l'impression de faire quelque chose contre les violences sexuelles, mais personne n'a été poursuivi. La communauté internationale a, elle aussi, échoué face à cette situation. La Cour pénale internationale de la Haye, qui enquête sur les crimes commis dans l'est du Congo, a attendu cette semaine pour, enfin, inculper un chef de milices de crimes basés sur le genre.
Il est de la responsabilité du secrétaire général de l'Onu, Ban Ki-Moon, d'élever la voix et de jouer un rôle moteur. Il faudrait qu'il convoque une session spéciale du Conseil de sécurité, qu'il lui soumette cette situation et l'appelle à engager immédiatement des actions concrètes. Dans les provinces touchées, il faudrait renforcer la force de maintien de la paix avec des milliers de soldats supplémentaires - en bonne partie des femmes.
Il faut exiger du procureur de la Cour internationale de justice, Luis Ocampo Moreno, qu'il accélère les enquêtes en cours, et une fois les éléments de preuve suffisants réunis, qu'il poursuive les auteurs de ces crimes et ceux qui ne les ont pas empêchés, alors qu'ils auraient dû le faire. Il faut aider les autorités locales à rechercher, arrêter et traduire en justice les responsables devant de nouveaux tribunaux locaux qui ont des pouvoirs de police et les moyens nécessaires. Il faut soigner et soutenir par tous les moyens les victimes - elles sont en nombre accablant - ainsi que les groupes locaux rassemblant des femmes courageuses qui leur viennent en aide.
Si ceux qui sont en position de mettre fin aux violences en République démocratique du Congo gardent le silence et continuent à ne rien faire, les criminels ne connaîtront plus de frein à leurs exactions contre les femmes. Quand l'horreur reste impunie, elle ne peut que s'étendre.
Maryam Elahi est également directrice du programme international concernant les femmes de l'Open Society Institute à New York.