Les démocraties en Afrique menacées par le tribalisme
Parmi les maux qui sont à la base des conflits armés dans la région de l’Afrique centrale et des Grands Lacs, « la montée en puissance de l’ethnicisme » figure en bonne position. Le pouvoir dans les pays de la région a tendance à être une affaire de l’ethnie, de la tribu, de la famille. Les autres institutions nationales, les services spécialisés, notamment l’Armée, la Police n’échappent pas à cette gangrène. Le cas le plus récent est celui du Tchad : une guerre familiale qui, nonobstant d’autres considérations, risque d’avoir des répercussions négatives sur toute l’Afrique centrale. Si on jetait déjà un regard chez le voisin pour tirer des leçons utiles…
Une importante délégation de la CEEAC vient de séjourner à N’Djamena aux lendemains de la tentative de prise de pouvoir par la force dans ce pays. L’heure est donc à la réflexion profonde et à la recherche des voies et moyens susceptibles de déboucher sur une paix durable au Tchad.
Cependant, la déclaration du secrétaire d’Etat tchadien aux Relations extérieures a retenu l’attention des observateurs avertis : « La force n’a jamais quitté le Tchad … ». Bien avant lui, Hubert Devrine, ancien ministre français des Affaires étrangères, s’était exprimé quasiment dans les mêmes termes pour souligner que les « coups de force sont quasi permanents au Tchad ». Et que cela est dû à la faiblesse des institutions.
Effectivement, lorsque l’on se penche sur ce dossier, l’on constate curieusement que les auteurs de ces coups d’Etat à répétition sont de la même région. Pour ne pas dire de la même ethnie : De Goukouni Weddeye à Deby en passant par Hissène Habré. Et maintenant, c’est le tour de Timane Erdini, neveu de Idriss Déby. Bien entendu qu’à côté de lui, il y a Mahamaty Nouri et Abdelwahid Aboub Mackaye.
Au départ, ils sont tous ensemble jusqu’à la prise du pouvoir. Les institutions et les services spécialisés n’échappent pas pour autant à telle enseigne que l’attribution des postes se fait selon la tête du frère. Ensuite, c’est la séparation qui se termine par la guerre entre « frères, neveu et oncle ». D’où les institutions ainsi que les services spécialisés mal structurés. L’armée particulièrement n’est constituée en grande partie que par des soldats d’une même région. La moindre résistance crée des frustrations.
Ainsi sont vite nées les rébellions armées. Et à la première vague, souvent due à la mauvaise répartition des revenus de la Nation que chaque membre de famille au pouvoir s’empresse à s’accaparer en premier lieu, les institutions ne résistent pas, les armées régulières battent souvent en retraite à la première offensive, puisque démotivées.
L’ethnicisme est donc l’une des causes principales de l’instabilité des institutions au Tchad. Le pétrole, la menace de la poussée arabe, l’absence de la démocratie ne sont que les conséquences de ce phénomène.
Mais le Tchad n’est pas le seul Etat à être le foyer des tensions. Chaque pays de l’Afrique centrale et des Grands Lacs vit ses réalités qui constituent des handicaps réels pour la poursuite normale du processus de démocratisation. C’est le cas des Hutu et Tutsi au Rwanda, au Burundi ; des chrétiens et des musulmans au Soudan ; le conflit entre les originaires du Nord et du Sud au Congo-Brazzaville…et nous en passons.
La notion des minorités
Le phénomène a pris de l’ampleur dans d’autres pays de l’Afrique centrale. Il s’observe que le plus souvent, ce sont les membres de la « famille présidentielle » qui occupent des postes stratégiques et bénéficient des faveurs du pouvoir pour s’octroyer des marchés aux bénéfices plantureux.
C’est ainsi qu’avec le temps, l’entourage immédiat des autorités au sommet de l’Etat est constitué de personnalités issues de leur clan, de leur ethnie, voire de la famille nucléaire. Etat de choses qui a le malheur de précipiter des dérapages politiques, d’entretenir le clientélisme, sources de plusieurs frustrations. Mais avec les guerres en République démocratique du Congo, un nouveau phénomène a vu le jour : la notion des minorités. Situation qui a fait couler tant d’encre et de salive, allant jusqu’ à engendrer des rebellions armées. Minorité n’est rien d’autre que l’ethnie. Et voilà la Tour de Babel bien repartie.
Déjà à l’époque de Mobutu, des frustrations avaient vu le jour en stigmatisant la «régionalisation », pour ne pas dire la « tribalisation » du pouvoir. Phénomène qui a encore des beaux jours devant soi dès lors que la tendance qui s’observe fait état de la concentration du pouvoir entre les mains des personnes d’un seul coin de la République.
Les démocraties en péril
Ou encore cette dénonciation de la sureprésentativité de certaines provinces au sein des institutions de la République au détriment des autres. Au nom de la géopolitique nationale, on en arrive à condamner « un déséquilibre dans la gestion du pouvoir », à revendiquer « une parcelle de pouvoir », au mépris de toute procédure démocratique, des critères d’excellence et de probité morale.
Lors du sommet de La Baule, le discours de François Mitterrand avait suscité un débat houleux. A la question de savoir si la démocratie était « universelle », d’aucuns rétorquaient qu’il n y a pas de « démocratie » mais des « démocraties ».
Malheureusement, les choses ne semblent pas bien évoluer pour plusieurs pays africains tant certaines réalités sociologiques ont la peau dure et mettent en péril la démocratie en Afrique. Le Kenya en fait les frais en ces moments, passant d’une contestation post-électorale à une confrontation armée inter-ethnique. Le Tchad, nous venons de vous en parler : le neveu menace le pouvoir de l’oncle. La République démocratique du Congo n’est pas encore sortie de l’auberge : la conférence de Goma en est une illustration parfaite des incidences interethniques dans la stabilité des institutions. Le régime tutsi de Kigali est toujours sur le-qui-vive craignant le retour fracassant des hutu.
A qui le prochain tour ? Il est vrai que dans plusieurs « cours », les « intrus » ne sont pas tolérés et le pouvoir demeure encore une affaire d’ethnie si pas tout simplement de la famille, mettant en danger les démocraties en Afrique.
Devant ces réalités qui suscitent plusieurs interrogations, il est difficile de faire de l’Union africaine une organisation puissante, efficace au service des pays africains, de la paix, de la sécurité et d’un développent durable. Le cri de déception de Idriss Déby face à l’indifférence africaine pose la problématique de la bonne gouvernance en Afrique centrale. Comment expliquer cette indifférence dont la RDC a été victime alors que l’agression était flagrante ? Pourquoi Déby n’a-t-il pas été secouru par les pays de l’UDEAC et de la CEMAC, sans oublier la CEEAC ? Pourquoi l’Afrique centrale reste-t-elle toujours la grande muette ?
Il faut trouver des réponses à ces interrogations. Déjà, au niveau de l’Afrique des Grands Lacs, le diagnostic a été clairement posé : la montée de l’ethnicisme sous-tend les conflits armés dans la région. Mais l’on est encore loin des résultats escomptés.