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LOSAKO
15 mars 2008

Dans les entrailles de l'empire Forrest

126442 Le groupe belge a, depuis 1995, fortement accru ses positions dans les mines. Deux de ses concessions ont été données aux Chinois. Zoom sur un groupe discuté.

Dans un sourd bruit de moteur, l'ascenseur descend, descend toujours. Les mineurs bavardent à mi-voix. La cage descend encore et s'arrête à moins 260m. On s'engage dans une galerie, haute de près de 3m, de la mine de cuivre souterraine de Kinsenda, au Katanga, encombrée de tuyaux : voilà près de deux ans que la mine, aujourd'hui propriété de la Minière de Musoshi et Kinsenda (MMK) - dont 5pc appartiennent au groupe de l'industriel belge George Forrest(1), 20pc à la société publique congolaise Sodimico et 75pc à CopperResources Cy, cotée en bourse de Londres (dont Forrest possédait 38,5pc avant un échange d'actions avec la sud-africaine Metorex) - est en cours de dénoyage.

Abandonnée durant six ans par la Sodimico, elle a été envahie par les eaux jusqu'au niveau moins 124m : l'eau d'une nappe aquifère pénètre en effet au rythme de 2 000 m3/heure dans les galeries; sans pompage régulier, la mine est noyée.

Le plus gros employeur privé

Au-dessus de moins 209m, l'eau est rendue acide par la présence de soufre, qui forme avec le sulfure de cuivre de magnifiques taches turquoises scintillantes sur les parois des galeries. Cette eau acide a rongé tous les montants de fer de la mine, qu'il a fallu remplacer. "Quand on a commencé le dénoyage, en 2006", raconte un ingénieur congolais, "en 48 heures les corps de pompe étaient bouffés, tellement l'eau était acide : le ph atteignait 2,3. Il a fallu ajouter du lait de chaux" pour compenser l'acidité, jusqu'au niveau moins 260, où le ph n'était plus que de 6,5 ou 6,7. "Aujourd'hui, les pompes sont tout de même usées en trois mois", précise l'ingénieur.

Nous voici à moins 293m, au niveau de l'eau qui, à partir d'ici, forme une glauque rivière souterraine dans une ancienne galerie. Un bloc de granit est tombé il y a quelques jours. Des mineurs dégagent l'éboulement à la main, dans un chaos de roches, ferrailles et boue. D'autres, plus haut, travaillent dans une quasi obscurité à démonter des tuyaux de pompage désormais inutiles dans un boyau à la pente abrupte. Un travail pénible ? "L'important est d'être payé régulièrement", répond un mineur. "Si vous avez même un salaire de 500 dollars/mois mais irrégulier, ça ne vaut rien !"

Si le groupe belge ne possède que quelque pc de la mine, ni les mineurs ni les habitants des alentours ne veulent le savoir. Ici, c'est "à Forrest" : on ignore les montages financiers et l'on nomme ce que l'on voit et connaît.

Les Forrest, installés au Katanga depuis 1922, sont l'objet de polémiques au Congo comme en Belgique. Premier employeur privé du pays (9 500 emplois directs), ils sont incontournables dans la province minière, où George Forrest est consul honoraire de France; cela suscite rancoeur et jalousie.

Au Katanga, leurs détracteurs font valoir que "Forrest paie moins bien que les autres sociétés minières étrangères, à l'exception des chinoises et indiennes", aux salaires indignes. A Kinshasa, on accuse l'entreprise du Belge de "piller" le Congo parce qu'il revend avec un bénéfice considérable des mines, carrières et installations industrielles achetées "pour trois fois rien" à la société publique quasiment en faillite Gécamines. Et de citer la récente décision de Kinshasa de "donner" deux concessions de Forrest, Dikuluwe et Mashamba-ouest, à des investisseurs chinois, contre une compensation de deux concessions équivalentes de la Gécamines ou 825 millions de dollars : "Combien Forrest avait-il lui-même payé ces concessions ?"

Les partisans de Forrest soulignent qu'"il est resté au Congo quand plus personne n'investissait dans ce pays; dans le monde des affaires, un risque important autorise de gros bénéfices". Qu'il fut le premier, en 1995, à proposer aux autorités congolaises des partenariats public/privé. Que là où une activité minière repart, "la vie reprend, l'eau potable et l'électricité, qui avaient disparu pour les villageois, reviennent".

Ciment et cobalt d'abord

Le groupe est une entreprise familiale, incapable de faire tourner toutes ses acquisitions seul; il doit donc s'associer à des partenaires étrangers aux reins plus solides. Ce faisant, cependant, sa part du capital initial diminue régulièrement, Forrest refusant d'aller lui-même en bourse, faute de bien en connaître les mécanismes. Sa part de Kamoto Copper Cy (KCC) est ainsi passée de 24 pc à 9 pc - "mais la valeur des parts de la Gécami nes s'accroît à chaque augmentation de capital puisque les siennes, 20 pc, sont fixes", souligne George Forrest.

Avec les années, celui-ci ne risque-t-il pas de se faire éjecter des nouveaux groupes miniers qu'il a contribué à créer ? "Il vaut mieux avoir 9 pc de 400 que 24 pc de 100", répond l'industriel dans un sourire. "Et puis on ne va pas diluer sans fin le capital; à un moment, cela va s'arrêter parce qu'on générera assez de capitaux nous-mêmes."

Par ailleurs, si les positions du groupe belge sont faibles dans le cuivre, il n'en va pas de même pour le ciment et le cobalt. Il possède en effet plus de la moitié des parts dans deux - sur une demi-douzaine - entreprises de fabrication de ciment du Congo, la Cilu et Interlacs, et 49 pc de Cimenkat. Or le ciment est un produit essentiel dans un pays en reconstruction.

S'agissant du cobalt, Forrest contrôle avec sa carrière de Luiswishi et l'exploitation d'une partie du terril de Lubumbashi, près du quart de la production mondiale ! Luiswishi appartient à CMSK, dont 60pc est à Forrest, 40pc à la Gécamines; le minerai y contient en moyenne 7 à 8 pc de cobalt, contre 2 à 3 pc ailleurs dans le monde, et les réserves y sont estimées à plus de 80 000 T. Le terril est exploité par GTL, dont 25pc appartiennent à Forrest, 20 à la Gécamines et 55 à l'américano-finlandais OMG.

(1) A l'invitation duquel nous avons pu visiter cette mine ainsi que des carrières et usines lors d'un voyage de presse en février.
REPORTAGE MARIE-FRANCE CROS ENVOYÉE SPÉCIALE AU KATANGA

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