Spoliation : Les frasques de Mama Sifa Mahanya, la mère adoptive de Joseph Kabila, président de la République.
Le centre historique de Lubumbashi est flanqué du bâtiment de la Poste et d’ une galerie marchande comprenant une salle de cinéma " Betamax". Les commerçants ont été sommés de déguerpir par le nouveau propriétaire qui ne serait autre que Sifa Mahanya, la mère de Joseph Kabila, président de la République. L’ affaire jette un éclairage troublant sur une sorte de rapacité de la F.P. ( Famille Présidentielle), destructrice des institutions.
Lubumbashi. Correspondance particulière.
Dans le principe, Joseph Kabila semble opposé à l’ affairisme illégal des membres de la famille polygamique de feu Laurent Désiré Kabila. Il les aurait même déjà mis en garde. Cette distanciation a même alimenté des rumeurs selon lesquelles Sifa Mahanya aurait un moment comploté contre son fils qui ne lui laisserait pas les mains libres en affaires. Mais dans les faits, Joseph a été incapable de contenir les débordements et autres interventionnismes de sa soeur jumelle Jaynet. Celle-ci a brillé récemment dans la saga minière du zimbabwéen Billy Rautenbach ; Jaynet a fini par l’ emporter sur les raisons d’ Etat invoquées par le procureur général de la République et, actuellement, et malgré le processus de révisitation des contrats miniers, les gisements annulés ont été restitués.
L’autre réalité est que le chef de l’ Etat a des difficultés pour recenser les membres de sa famille. Il a reconnu trois épouses à son feu père. Cela lui laisse néanmoins des dizaines de frères et soeurs, d’ oncles et tantes, de cousins et cousines et leurs progénitures à gérer directement. Au delà, il existe une multitude de rejetons qui revendiquent la filiation de LD Kabila. Le plus célèbre est Etienne Kabila qui a campé dans l’ opposition politique. Tout récemment, Aimée Mulengela Kabila, a été assassinée à Kinshasa, et selon les dires de ses proches, parce qu’elle revendiquait des liens de parenté en dehors des trois lits reconnus et une part dans l’ héritage. Des poursuites sont engagées contre l’ ONG "La Voix des sans-Voix" qui a dévoilé les dessous de cette ténébreuse affaire.
La famille présidentielle a le triste destin d’ allier l’ affairisme à des crimes de sang. Avant Aimée, il y a eu l’ assassinat de Mzee Kabila lui-même en 2001. Et le 15 juin 2005 fut assassinée Espérance Kabila, tante de Joseph. Ce drame n’a pas enlevé une ombre à l’ esprit de spéculation financière. Comme le meurtrier Mwamba Takiriri était un colonel, son forfait aura engagé la responsabilité des FARDC, et la famille de Joseph Kabila a obtenu de la justice militaire 36 millions de dollars US de dédommagements de l’État congolais. Environ un pour cent du budget national 2008. Autant, aux dires des spécialistes, que les recettes attendues du secteur minier.
Ces dernières années, le régime kabiliste avait renoué avec les expropriations des immeubles comme " biens abandonnées" ou des "biens sans maître". La Société Le Crédit Foncier a ainsi perdu deux importants centres commerciaux sous le prétexte que la société avait cessé d’ exister. Un commerçant de la place avait obtenu une lettre ministérielle lui attribuant l’immeuble, communément appelé Betamax. Vint le premier gouvernement Gizenga et la ministre des Affaires foncières régularisa l’ expropriation en remplaçant la lettre par un arrêté ministériel en bonne et due forme. Le bénéficiaire fut un ministre katangais, toujours membre du gouvernement. Ce dernier a revendu Betamax à Sifa Mahanya. La "mère" du président de la République, elle, n’apparaît pas dans la transaction. En lieu et place, on trouve un adolescent âgé de 17 ans. Un prête nom. Saisie par le nouveau propriétaire, la justice katangaise a ordonné le déguerpissement des commerçants installés dans le Betamax. Parallèlement, les représentants de la société "Le Crédit Foncier" ont engagé des réclamations. Ils auraient obtenu gain de cause, car le nouveau ministre des Affaires foncières a bien identifié l’expropriation illégale et annulé l’arrêté ministériel.
Il s’ engage ainsi une course contre la montre. Tant que le faux titre de propriété du prête-nom de Sifa Maanya n’ a pas encore été annulé par le Conservateur, celle-ci veut faire exécuter le jugement et prendre possession de l’ immeuble. Le Crédit Foncier a engagé la résistance, mais aucun huissier n’obtient l’accès à l’adresse du propriétaire qui n’ est autre que la résidence officielle de la mère du chef de
l’Etat et cela dans le quartier militarisé de la Présidence.
Sifa Mahanya a obtenu la réquisition d’ une bonne centaine de policiers pour procéder à l’ expulsion des locataires du Crédit Foncier. Le gouverneur de province se serait interposé en invitant les victimes à "un peu de sagesse", compte tenu de l’identité du propriétaire qu’ il a promis de dévoiler. Sa proposition serait que les commerçants bénéficient d’un préavis de quelques mois. Ce qui signifie que le Crédit Foncier semble bien avoir été exproprié au grand jour et en plein centre ville de Lubumbashi. Les observateurs estiment que, cette fois, Sifa Maanya aura poussé le bouchon trop loin, et l’affaire risque d’ arriver aux oreilles de son "fils". Ce serait alors un test grandeur nature.
P. Kabengele