Hypermilitarisation. Kivu : une bombe à retardement
Le constat établi par Human Rights Watch est formel : « L’accord de paix de Goma n’a pas mis fin aux meurtres de civils.» Et pourtant, selon des sources concordantes, il existe actuellement 120.000 hommes armés ; FARDC et autres groupes armés toutes tendances confondues. Un nombre impressionnant qui fait craindre le pire : l’hypermilitarisation des deux provinces du Kivu est une véritable bombe à retardement. Serait-ce voulu ?...
Les provinces du Nord et du Sud-Kivu demeurent toujours le ventre mou de la République démocratique du Congo. La situation y est toujours préoccupante, nonobstant les efforts déployés jusqu’ici. Bien sûr qu’il y a eu cette lueur d’espoir avec la Conférence de Goma pour la paix, la sécurité et le développement des provinces du Nord et Sud-Kivu. Il s’en est suivi des actes d’engagement signés par toutes les parties et la mise sur pied du « Programme Amani ».
Malheureusement, les choses traînent. L’on continue à courir après une paix et une sécurité toujours insaisissables. Sur le terrain, la situation est dramatique. Le Haut commissariat de réfugiés a recensé 1.300.00 réfugiés internes. A vue d’image ou à vol d’oiseau, le spectacle est effrayant avec tous ces camps d’infortune.
Déjà, la semaine dernière, en l’espace d’un mois, l’envoyé spécial de l’Union européenne dans la région des Grands Lacs, Roland van de Geer, le représentant du secrétaire général de l’Onu et chargé de la Monuc, se sont entretenus avec le ministre d’Etat de l’Intérieur, le général Denis Kalume au sujet de cette situation du Kivu avec le fonctionnement du Programme Amani. Auparavant, ils avaient eu des entretiens avec le président de la République sur la même question.
Mais, c’est le rapport de Human Rights Watch qui rejoint les préoccupations et les inquiétudes de plusieurs observateurs, tant nationaux qu’internationaux, sur cette situation particulière au Kivu. Ce rapport publié hier lundi 21 juillet à Bruxelles est alarmant et interpellateur à la fois : « Six mois après l’Accord de Goma, meurtres, viols et pillages se poursuivent. L’accord n’a pas mis fin aux meurtres de civils. Selon des informations plus de 200 meurtres de civils et le viol de centaines de femmes commis depuis janvier par tous les groupes armés, y compris le soldats de l’armée congolaise. Six mois après la signature de l’accord de paix, la situation des droits humains n’a connu aucune amélioration et en fait dans certaines zones, elle s’est détériorée. Alors que les parties à l’accord de paix assistent aux négociations, leurs troupes continuent de tuer, de violer et de piller les civils ».
HYPERMILITARISATION
Comme le souligne cet extrait du rapport de Human Richts Watch, le vrai danger au Kivu, ce sont les groupes armés, sans oublier les FARDC épinglées à chaque publication du rapport de la Monuc. Selon certaines estimations, les FARDC disposent dans les deux Kivu de plus de 13 brigades avec au total plus de 40.000 soldats. Quant aux groupes armés présents sur le terrain, à savoir CNDP, PARECO, Maï-Maï Mongols, FR, FDLR… et nous en passons, il y en aurait 22 dans les deux Kivu qui affichent un total de plus de 50.000 éléments armés. S’il faudra prendre également en compte les éléments de la Police nationale, les deux Kivu totalisent, selon des estimations, 120.000 hommes armés.
A ce nombre, il faudrait bien ajouter le contingent de la Monuc avec près de 10.000 casques bleus. C’est quasiment l’effectif d’une armée nationale d’un pays aux dimensions de celles de la République démocratique du Congo.
Le problème est de savoir gérer tous ces militaires dans une région qui doit sortir absolument d’une situation de guerre complexe. Tout le problème est là.
La première des choses, c’est que toutes les parties devraient s’en tenir à l’Acte d’engagement pour éviter des violations sans cesse du cessez-le-feu. Ensuite, accélérer le processus DDRRR, l’exécution vite et bien du Programme Amani pour que le brassage soit effectif. Malheureusement, ce brassage se fait au compte-gouttes, les belligérants n’ayant vraiment pas le coeur à l’ouvrage. Certainement qu’il existerait de agendas cachés, si pas cette méfiance qui continue à s’ériger en obstacle pour conduire le processus politique vers l’impasse. Pour preuve, à plusieurs reprises le CNDP de Laurent Nkunda et les FR ont quitté la table des travaux pour diverses raisons.
Or, tant que le brassage traîne, tous les groupes armés constituent de véritables dangers, de vraies bombes à retardement. Il en est de même de l’encadrement efficace des éléments des FARDC. S’ils continuent à vivre sur le dos des populations, les violences se poursuivront ainsi que les meurtres.
ELECTIONS 2011 : HYPOTHETIQUES
La grande interrogation est celle de savoir si dans trois ans, l’on aura bouclé le processus de brassage et de DDRRR afin de disposer d’une armée intégrée et en finir avec la question des groupes armés. Notamment la démobilisation et le rapatriement des Interahamwe, ces rebelles rwandais qui collent à la peau des populations congolaises. On le doute fort, et ce pour plusieurs raisons.
D’emblée, il faut retenir que la situation au Kivu est complexe. Il s’agit d’une affaire de gros sous où plusieurs intérêts et enjeux s’entrecroisent. La plupart de ces groupes armés, nationaux et étrangers, trouvent leurs comptes dans cette situation de guerre. Ils exploitent illégalement des minerais pour constituer des « économies de guerre » et administrent des grands espaces qui leur permettent de mettre sur pied des « administrations parallèles, en prenant le contrôle des frontières déjà poreuses. Ajouter à cela des causes exogènes qui profitent à certains Etats parias. Si ces différentes zones échappent à la maîtrise du gouvernement central, l’on ne réussira pas le brassage.
Si par aventure politique cette hypothèse s’affirmait, il va de soi que les élections de 2011 sont déjà hypothéquées. On ne peut recenser et amener des populations dans des conditions d’insécurité.
Outre cette éventualité qui n’est pas à écarter, le spectre de la partition, de la balkanisation demeure. Des zones entières continuent à échapper au contrôle du pouvoir central installé à Kinshasa, on risque d’appliquer à la RDC le schéma du Kosovo. Cette idée hante toujours les vrais commanditaires des guerres d’agression contre la RDC. D’où la question importante de savoir si cette situation préoccupante au Kivu, cette « hypermilitarisation » n’est pas voulue par certains « groupes » qui trouvent leurs comptes pour que cette « bombe » à retardement explose, un jour ou l’autre. AFP/Le Potentiel