Kabila, Kagame, Nkunda : A quoi jouent-ils ?
..................................................Dans une interview accordée au quotidien bruxellois «Le Soir», le président rwandais Paul Kagame accuse Joseph Kabila de se laisser influencer par les «extrémistes» de son entourage et fait l’éloge de Laurent Nkunda.
Analyse
«Je n’ai pas voté, comme vous l’imaginez. Cela dit, j’ai été heureux du résultat, c’est vrai.» Celui qui parle ainsi n’est autre que l’homme fort de Kigali (voir l’hebdomadaire Jeune Afrique n°2404, daté 04-10 février 2007). Le président Paul Kagame donnait ses impressions après la «victoire» de Joseph Kabila à l’élection présidentielle de 2006. Une année après, beaucoup d’eau semble avoir coulé sous le pont. «(…). J’ai le sentiment d’avoir été utilisé puis abusé, et accusé.» Qui parle ? C’est encore Kagame dans une interview accordée au quotidien bruxellois «Le Soir », daté samedi 6 et dimanche 7 septembre 2008. Le dirigeant rwandais reproche à Joseph Kabila d’avoir sollicité son intervention afin d’entrer en contact avec Laurent Nkunda. Il a mis à cette occasion un hélicoptère pour déposer l’émissaire congolais, en l’occurrence le «général» John Numbi, à Kitshanga, au Nord Kivu. L’objectif était, dit-il, de trouver une solution politique par l’intégration des combattants du CNDP dans l’armée nationale.
«Alors que le mixage commençait à bien fonctionner, explique Kagame, il y a eu une rencontre au Burundi où la délégation du Congo a soudain demandé que Nkunda soit arrêté, car il figurait sur une liste criminelle.»
Le président rwandais passe sous silence le fait que lors des opérations de brassage, des experts onusiens ont démantelé la présence de plusieurs soldats de l’ex-Armée patriotique rwandaise présentés comme membres du CNDP. Plus grave, les combattants issus de ce mouvement rebelle, rechignaient d’être affectés dans une autre province que les deux Kivu. Une exigence pour le moins bizarre quand on sait que depuis la création de la Force publique en 1886, les soldats congolais ont toujours été affectés dans toutes les régions du pays. Certains observateurs avaient suspecté le pouvoir rwandais de chercher à infiltrer l’armée congolaise par une sorte de «Cinquième colonne».
Pillages
Pour le chef d’Etat rwandais le «revirement» congolais ne pouvait être que l’œuvre des «extrémistes» de la Présidence de la République à Kinshasa. Il le fait savoir à son homologue congolais lors d’une rencontre à New York : «Vous devez calmer vos extrémistes. Je ne sais pas si vous êtes extrémiste vous-même, mais vous utilisez cela pour servir vos objectifs politiques. Voyez les problèmes au Nord-Kivu, entre Hutus, Tutsis, Banande, Banyarwanda…» Et de poursuivre sur un ton plutôt menaçant : «J’ai l’impression que vous jouez avec cela, mais un jour cela finira par vous revenir au visage.» L’histoire ne dit pas la teneur de la réponse donnée par le «raïs» congolais à Kagame à qui il doit sans conteste son ascension au double plan militaire et politique. C’est ça le drame de la RD Congo. Le pays est gouverné, à quelques rares exceptions près, par des hommes et des femmes qui ont été «gérés» par des officines à barbouzes rwandais et ougandais. Des hommes et des femmes qui ont eu à faire les pieds de grue dans l’antichambre de Kagame et de Yoweri Museveni avant de se voir affubler du titre «Son Excellence».
On comprend, dès lors, le silence des dirigeants congolais en général et de Joseph Kabila en particulier face aux pillages des ressources minières tant dans les provinces du Kivu que dans la Province orientale(Ituri). En octobre 2003, des experts onusiens avaient rédigé un rapport dans lequel ils mettaient en cause le Rwanda et l’Ouganda. Les deux pays étaient accusés de tirer profit des ressources congolaises non seulement via les milices armées présentes sur le terrain mais aussi à travers des sociétés étrangères. Le quotidien britannique «The Independant» avait révélé dans une de ses éditions que les pages stigmatisant le Rwanda et l’Ouganda avaient été expurgées de ce rapport suite à une intervention du secrétaire général d’alors, Kofi Annan, en accord que les Etats membres du Conseil de sécurité. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni étaient pointés du doigt.
L’aveu
Le mérite de cette interview réside au fait que le leader rwandais fait un aveu quand il clame : «Non. J’ai perdu l’appétit d’apporter ma contribution » au processus de paix au Kivu. "Je n’en ai plus envie, j’ai laissé tomber… » A contrario, la preuve est ainsi faite que Kagame demeure le principal tireur des ficelles dans la crise qui secoue le Kivu. Son pays en tire profit au plan sécuritaire et économique.
Le Rwanda n’est-il pas en passe de devenir un des plus gros exportateurs du fameux coltan grâce au chaos kivutien?
De même, en jouant le «go between» entre Kabila et Nkunda, Kagame ne peut plus nier l’influence qu’il exerce sur «Laurent». Enfin, le président rwandais met à nu la parfaite harmonie existant entre lui-même et Nkunda d’une part et la communauté internationale de l’autre quand il lâche : «Maintenant encore Kabila veut essayer de résoudre militairement le problème, alors que la conférence de Goma avaient entamé un règlement politique. Même l’émissaire européen et le représentant de l’ONU me signalent qu’il y a eu au Kivu un déploiement militaire massif. Cela signifie que l’on prépare la guerre.» Devrait-on conclure que le chef d’Etat congolais est diplomatiquement isolé ?
Signalons enfin que Kagame, qui reproche aux autorités de Kinshasa de refuser à son pays d’installer son ambassade à Kinshasa, assure de n’avoir plus de contacts téléphoniques avec Joseph. Le général Paul Kagame a démontré à maintes reprises sa maîtrise de la manipulation. Ses propos devraient être lus entre les lignes afin de déceler les non-dits. Il reste que le chef d’Etat rwandais pose un problème fondamental quand il dit : «(…). Certes, vous pouvez considérer certaines revendications de Nkunda comme excessives, mais d’autres sont fondées, méritent d’être prises en compte...» Question : A quel jeu se livrent Kabila, Kagame et Nkunda? B.A.W