Assemblée nationale : les petits secrets d’une victoire...sans péril !
Evariste Boshab a été élu président de l’Assemblée nationale aux alentours de 4 heures du matin, samedi 18 avril. L’homme doit son «triomphe» moins à ses qualités personnelles qu’aux actions discrètes menées par l’«autorité morale» de l’Alliance de la majorité présidentielle (AMP), en l’occurrence Joseph Kabila, auprès de 300 députés étiquetés AMP, reçus mercredi dans la Ferme présidentielle. Certaines sources font état d’une «réconciliation» qui serait intervenue avant le vote, vendredi 17 avril, entre le «raïs» et Vital Kamerhe...
«Ce pays est dirigé à coup de corruption. Joseph Kabila l’a d’ailleurs reconnu dans l’interview qu’il a accordée au New York Times. Les Congolais aiment l’argent facile pour jouir de manière ponctuelle en attendant une autre corruption.» Ancien ministre de l’éphémère gouvernement d’Etienne Tshisekedi et médecin de son état, Tharcisse Loseke Nembalemba n’a pas trouvé des mots assez durs pour fustiger l’élection d’Evariste Boshab à la Présidence de la Chambre basse du Parlement congolais.
Un seul tour de vote a donc suffi. Evariste Boshab, secrétaire général du parti présidentiel PPRD, a obtenu 329 voix sur 484. Un score digne d’un leader nord-coréen. François Muamba, Idambito Bakaato et Gilbert Kiakwama kia Kiziki n’ont recueilli respectivement que 75, 54 et 15 voix. Le suffrage récolté par Kiakwama surprend dans la mesure où son groupe parlementaire compte une trentaine de députés. Devrait-on conclure que sa propre famille politique lui auraitt fait des infidélités ? Etrange. Lutte contre la corruption
Dans sa toute première déclaration, Boshab s’est voulu rassembleur. «Le président de l’Assemblée nationale n’est pas le président de l’opposition, encore moins de la majorité. Il est le président de tous les députés.» A-t-il été entendu ? Rien n’est moins sûr. Contrairement à «Vital» qui avait arraché une certaine marge de manœuvre, «Evariste» est présenté comme étant un «homme servile» à l’égard du «raïs» mais aussi du véritable «l’homme fort» du «clan». Il s’agit du député Augustin Katumba Mwanke. Quelles sont les priorités du nouveau «Speaker» ? Il a cité notamment le contrôle de l’action de l’exécutif en précisant «suivant les normes». Il s’est engagé à mener une «lutte sans merci» contre la corruption. Interdiction de rire.
Les diplomates accrédités à Kinshasa ont sans doute dû étouffer un petit fou-rire en mentionnant dans les messages envoyés au ministère des Affaires étrangères de leur pays respectif que le nouveau président de l’Assemblée nationale de la RD Congo traîne derrière lui des «casseroles». L’homme a été impliqué dans une affaire de corruption, alors qu’il assumait les fonctions de directeur de cabinet de Joseph Kabila. Il s’agit de la destination donnée aux 32 millions de dollars de la SNEL. Une affaire non élucidée à ce jour. Quel est en définitive le secret de la victoire de Boshab, une victoire au demeurant sans péril?«Champagne, billets verts et 4x4 »
Certains confrères kinois rapportent que mercredi 15 avril, Joseph Kabila a reçu 300 députés. La rencontre, aux allures de garden-party, a eu lieu dans la désormais célèbre «Ferme de Kingakati», propriété du «raïs». Mobutu Sese Seko se repliait à Gbado Lite quand il n’était pas dans le bateau présidentiel, le MS/Kamanyola. Joseph, lui, a trouvé son lieu de villégiature sur la route de Bandundu. L’autorité morale de l’AMP a, à cette occasion, donné un mot d’ordre de vote en insistant sur la «discipline». Le quotidien «Le Potentiel» ne dit pas autre chose : «La victoire écrasante du professeur Evariste Boshab, candidat de la majorité, il la doit à l’autorité morale de l’AMP, président de la république. Le chef de l’Etat a su, lors de la rencontre de mercredi dernier avec les députés de l’AMP, démontrer les vrais enjeux de cette élection du 17 avril.» C’est tout ?
Selon certaines sources, «Joseph» aurait remis à chaque parlementaire une «enveloppe» contenant un montant oscillant entre 2.000 et 5.000 USD. «Le président de la République, confie un député, s’est par ailleurs engagé à prendre à sa charge le solde à payer pour les véhicules 4x4 livrés à ses convives.» La réunion s’est terminée par un grand barbecue. Le champagne a coulé à flots. «Ce fut un géant méchoui. Une fête avant la fête. Champagne grand cru, grands vins, blanc et rouge, poulets, viandes diverses, saucisses grillées, etc.», rapporte notre confrère «Le Soft» dans son édition en ligne datée 16 avril. Bel exemple d’«austérité» et surtout de solidarité pendant que la grande majorité de la population continue à tirer le diable par la queue.Conjurer «l’effet Kengo»
Kabila ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Ceux qui l’ont approché ces derniers jours disent que l’homme avait le moral d’un «gladiateur». Il était prêt «à payer le prix» pour conjurer une propagation de l’«effet Kengo» à la Présidence de l’Assemblée nationale. En mai 2007, Léon Kengo wa Dondo, Sénateur indépendant, avait coiffé au poteau Léonard She Okitundu, candidat du parti présidentiel. Les mauvaises langues racontent que le «She» avait mis du champagne au frais. Un groupe folklorique tetela avait déjà installé ses instruments de musique, au domicile du «She», pour célébrer la victoire annoncée. L’élection surprise de l’ancien Premier ministre du Zaïre avait eu l’effet d’un cataclysme politique dans le camp kabiliste. Au centre de la suspicion, l’article 75 de la Constitution qui stipule : «En cas de vacance pour cause de décès, de démission ou pour toute autre cause d’empêchement définitif, les fonctions de président de la République, à l’exception de celles mentionnées aux articles 78, 81 et 82 sont provisoirement exercées par le président du Sénat.» Kengo a dû presque s’excuser d’avoir battu son challenger. «Quant à l’article 75, déclarait-il dans son discours inaugural, la rumeur publique lui confère une portée politique alors qu’il s’agit d’une disposition éminemment mécanique. Je suis élu président du Sénat et non vice-président de la République avec droit de succession». Le «raïs» a déployé des talents de «stratège» afin d’éviter toute déconvenue. Rien n’a été négligé. Selon une bonne source jointe au téléphone à Kinshasa, il semble bien que Vital Kamerhe se soit rendu, à son tour, à la Ferme de Kingakati quelques heures avant le lancement du vote au Palais du peuple. Il aurait été reçu par «l’autorité morale» de l’AMP. L’histoire ne donne point des précisions sur l’initiateur de cette «paix des braves». «Kabila et Kamerhe ont fumé le calumet de la paix en scellant leur réconciliation, assure cette source. C’est bien cet événement inattendu qui explique le mauvais score réalisé par le MLC François Muamba. Le secrétaire général du MLC n’a pas pu tirer profit des dissensions au sein de l’AMP.» Notons que, dimanche 12 avril, l’ex-président de l’Assemblée nationale, avait annoncé la création d’un «Courant de réflexion pour la défense de la démocratie et des valeurs républicaines.» Des analystes accréditaient le groupe de 40 à 70 députés. «Après sa rencontre avec Kabila, commente la source, Kamerhe a dû donner une consigne de vote en faveur de Boshab.» Spéculations ? L’avenir le confirmera ou l’infirmera.
Que peut-on attendre d’Evariste Boshab à la tête de l’Assemblée nationale ? Considéré, à tort ou à raison, comme un des «super faucons» de l’entourage présidentiel, ce professeur de droit n’a pas la réputation d’un homme sensible au pluralisme d’opinions. Procès d’intention ? Un député de l’opposition donne sa lecture de l’événement : «L’arrivée de Boshab à la tête de la Chambre basse est une bonne nouvelle pour le PPRD. Cette arrivée constitue un mauvais signal pour la démocratie congolaise. Nous jugerons sur pièce».
B. A. W.