Omar Bongo, un des derniers dinosaures d’Afrique
Depuis le décès de l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, fin 1993, il avait repris vaillamment le flambeau d’une «Françafrique» en déclin. Respecté pour sa sagesse et ses médiations mais aussi critiqué pour ses liens ambigus avec la France et des soupçons de corruption.
Doyen des chefs d’Etat sur le continent, le président du Gabon, Omar Bongo Ondimba, est mort dimanche des suites d’un cancer.
Maître stratège en politique, un talent que lui reconnaissent ses partisans comme ses détracteurs, il a su rester au pouvoir sous le régime du parti unique mais aussi après la restauration du multipartisme en 1990. « Le sens politique c’est l’art de l’oubli », aime-t-il à dire.
Propulsé en 1967 à la tête du petit émirat pétrolier du Golfe de Guinée, ce petit homme aux lunettes noires aura connu et fréquenté pas moins de six présidents de la République française. Le dernier, qui avait promis la «rupture» avec des pratiques d’un autre temps et de ténébreux réseaux franco-africains, se rendit sans broncher à Libreville pour son premier voyage en terre africaine, en juillet 2007. Le soir de son élection, Nicolas Sarkozy avait d’ailleurs appelé un seul dirigeant étranger, avant même la fermeture des bureaux de vote, pour le remercier pour ses «conseils»: Omar Bongo.
Ce dernier était loin d’être seulement un serviteur zélé de la «Françafrique». Bongo était aussi un fin connaisseur de la scène politique hexagonale, qui avait su se rendre indispensable en se créant un réseau d’obligés à Paris, de droite comme de gauche.
Le vieux sage a toujours été soupçonné d’avoir financé une palanquée de campagnes électorales. Mais ce rôle occulte n’a jamais été éclairci par la justice. Lors du retentissant procès d’Elf, dans les années 90, son nom a été beaucoup cité. Mais Bongo a finalement été épargné. «L’Afrique sans la France, c’est une voiture sans chauffeur. La France sans l’Afrique, c’est une voiture sans carburant», disait-il à Libération en 1996.
Bongo savait aussi confier des missions de conseil et d’audit à des dirigeants politiques prometteurs ou confirmés comme autant d’investissements. Ces derniers mois, on a beaucoup parlé de Bernard Kouchner. Mais la liste de personnalités politiques de tous bords ayant cédé à ses sirènes est longue.
« Tous les chefs d'État.. africains ont eu à traiter avec Bongo et lui doivent quelque chose », souligne un diplomate.
Au Gabon, il a su régner sans faire usage de la force, contrairement à nombre de ses pairs sur le continent. La clé de sa réussite tient en quelques mots: un instinct politique hors pair et un usage raisonné de la corruption.
Bongo s’est longtemps prénommé Albert-Bernard. Il est né en 1935 dans une famille de paysans du pays batéké, une ethnie minoritaire du sud-est du pays. Après des études secondaires au Congo, il exerce un emploi modeste au sein des postes. Mais ce jeune homme vif et ambitieux est vite repéré par les services secrets français, qui vont l’employer, notamment dans les écoutes téléphoniques. Bob Maloubier, ancien du SDECE, s’occupe de la garde présidentielle après 64. Le Gabon, comme l’a raconté Pierre Péan (1), est alors le repère des barbouzes de tous poils. La garde présidentielle y est composé d’anciens de l’OAS. Paris possède sur place des intérêts économiques statégiques: l’uranium, exploité dans le sud-est par la Comuf (Compagnie d’uranium de Franceville), et bientôt le pétrole.
Mais Bongo doit son ascension tout autant aux Français qu’au premier président du Gabon indépendant, Léon Mba, qui en fait son directeur de cabinet. En 1964, lorsque le président est victime d’un putsch, avant d’être rétabli dans ses fonctions par les paras français, Bongo refuse de le lâcher. Le président Mba le nomme vice-président, et à sa mort en 1967, il lui succède naturellement, avec l’assentiment de Paris.
En 1973, Albert devient Omar: il s’est converti à l’islam, sur les conseils avisés du colonel Khadafi. Accessoirement, cette conversion intervient alors que le Gabon rejoint l’Opep, au lendemain du premier choc pétrolier. Trente ans plus tard, il ajoutera le nom de son père «Ondimba», racontant avoir été interpellé par son géniteur dans un rêve mouvementé. Mais son appartenance aux réseaux maçonniques a joué un rôle bien plus important au cours de sa longue carrière que son adhésion à l’islam.
Comme Félix Houphouët-Boigny, Bongo a su redistribuer l’argent du pétrole en veillant à ce qu’aucune communauté ne se sente marginalisée, gage de la stabilité de son pouvoir. Mais si son pays a échappé aux soubresauts qui ont ensanglanté nombre de ses voisins, il n’a jamais décollé économiquement. La manne pétrolière, qui se tarit, a profité à une petite coterie dans l’entourage du président, tandis que la moitié de la population vit dans la pauvreté.
Au cours de son long règne, Bongo a coopté un à un ses opposants au sein des différents gouvernements qui se sont succédé à Libreville en quarante ans, réduisant à néant toute idée d’alternance.
Il était comme une sorte de sage que l’on vient consulter et il n’est pas rare de croiser à Libreville des personnalités politiques de tous bords et de toutes nationalités, qui venait s’entretenir avec lui.
Succession ou constitution...Paris reste le seul maître du jeu
Sa succession risque de se révéler d’autant plus délicate à gérer, en l’absence de relève crédible.
Au fil des ans, sa famille a pris une place prépondérante. Sa fille, Pascaline, qui dirige le cabinet présidentiel, a la haute main sur les finances, tandis que son fils, Ali, contrôle l’armée à la tête de laquelle il a placé ses fidèles. Vice-président du parti au pouvoir, ce dernier est idéalement placé pour succéder à son père, étant donné la brièveté de la campagne et l’état d’impréparation de ses adversaires.
Seulement voilà, Omar Bongo s’en va sans avoir préparé la succession, ce qui laisse libre court à la guerre des clans entre d’un côté son dauphin de fils qui ne fait l’unanimité ni dans l’armée ni dans l’opinion publique ; l’armée qui a toujours son mot à dire dans ce genre de situations, et de l’autre côté, il y a le respect des textes. La constitution du Gabon stipule qu’en cas de vacance au sommet de l’Etat, c’est le président du Sénat qui assume l’intérim. Il y aura sans doute télescopage dans ce jeu à trois. C’est donc Paris qui jouera au arbitre, surtout lorsqu’on se rappelle l’importance que représente ce pays pour la France. Car il faut le dire, le Gabon c’est la Françafrique. Et Paris ne serait pas prêt accepter que n’importe qui marche sur ses plates-bandes. C’est le cas de dire que Paris reste le seul maître du jeu.
Malgré la stabilité du Gabon qu’on lui reconnaît, Omar Bongo laisse derrière lui une population appauvrie qui n’a pas profité de la manne pétrolière.
Récemment, ses relations avec l’ancienne puissance coloniale se sont tendues en même temps que surgissaient des affaires.
Les médias français ont fait des révélations sur l’important patrimoine immobilier de sa famille alors que la justice française est actuellement saisie d’une plainte d’ONG qui accusent M. Bongo de posséder en France des biens immobiliers de luxe financés par de l’argent public détourné. O.M