Est de la RDC: patrouille de nuit à Luofu avec les Gurkhas de l'ONU
A cent mètres d'un pont, la jeep de l'ONU s'arrête sur la piste. Fusils d'assauts à la main, deux Gurkhas, soldats d'élite de l'armée indienne, bondissent hors du véhicule, puis marchent à la lumière des phares vers la rivière, en éclaireur.
"C'est un endroit où l'on est vulnérable", explique le major indien, chef de la patrouille. L'officier, qui ne veut pas donner son nom, commande une soixantaine de Casques bleus basés à Luofu, une localité de 14.000 habitants dans la province du Nord-Kivu, dans l'est de la République démocratique du Congo.
Dans les forêts des montagnes environnantes, de petits groupes de rebelles hutu rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) se cachent le jour et, quand vient le soir, attaquent des villages ou des soldats des Forces armées de la RDC (FARDC).
Comme le 17 avril dernier. Vers 21H00, plus de 300 FDLR ont incendié 255 des 2.500 maisons de Luofu. Cinq enfants et deux adultes ont péri brûlés.
A cette époque, la Mission de l'ONU en RDC (Monuc) ne disposait pas de base permanente dans la ville. Des Casques bleus de Kanyabayonga, à 15 kilomètres, avaient été dépêchés sur place mais sont arrivés deux heures après l'attaque.
Depuis ce drame, les Gurkhas ne quittent plus la localité. Leur camp de tentes en toile est installé au sommet d'une petite colline surplombant le village. Chaque nuit, ils effectuent au moins deux à trois patrouilles dans la zone, toujours à des heures différentes, uniquement en véhicules.
Vers 21h00 jeudi, le pont sur la rivière Luofu est franchi sans encombre. Mais 2 km plus loin, le groupe d'une vingtaine d'indiens embarqués dans la jeep et un petit camion -armé d'une mitrailleuse légère- est stoppé par un camion en panne au milieu de la piste.
"Il ne faut pas rester là, c'est un endroit qui n'est pas sûr", explique au chauffeur le major, aidé par un interprète qui traduit en swahili. La patrouille devient alors dépanneuse et tracte le camion qui redémarre.
Aux premières maisons du village de Kayna, à 7 km de Luofu, cinq soldats FARDC, kalachnikovs en bandoulière, sortent de la brousse comme de nulle part.
Les tenues sont disparates. L'un porte une casquette kaki vissée de travers sur la tête tel un rappeur, un autre a revêtu un imperméable, un troisième est en tongues. Ils sont aussi en patrouille, disent-ils.
Les indiens poursuivent la leur, roulant à 20 km/h sous le clair de lune, jusqu'à un croisement au centre de Kayna. Au nord, la piste va vers Kirumba, au sud vers Kanyabayonga. Dans ces villes, deux autres unités de 4e Bataillon indien -formé uniquement de Gurkhas, d'origine népalaise- sont également positionnés.
"Notre patrouille s'arrête là. Les autres unités viennent aussi jusqu'à Kanya", dit le major après avoir fait un compte-rendu radio à son quartier général.
Depuis quelques jours, la situation dans la région est qualifiée par la Monuc de "tendue et imprévisible".
Le retour à Luofu se fait à la même allure. Sur la jeep, un Casque bleu muni d'une lampe torche éclaire parfois la piste et les bas côtés d'un puissant faisceau lumineux.
L'équipée croise une longue colonne silencieuse de soldats FARDC qui remontent à pied vers Kayna, sans aucune lumière. C'est une compagnie entière, environ 160 hommes, qui vient d'être relevée.
Les Gurkhas eux sont de retour vers 22H00 à Luofu, déjà endormie, rassurée par la présence des Casques bleus.