Rwanda : Attentats, défection et polémique
Suspecté d’avoir commandité les attentats à la grenade qui ont secoué Kigali ces derniers jours, le général Kayumba Nyamwasa s’est enfui. Connaissant le système et les acteurs, l’homme a évité d’avoir à affronter des enquêteurs instrumentalisés par le pouvoir. Les autorités rwandaises accusent l’Ouganda d’avoir accueilli cet officier supérieur qui est le tout premier chef d’état-major de l’armée patriotique rwandaise (APR) avant d’assumer les fonctions d’ambassadeur en Inde. Kampala dément. En réalité, Kayumba se trouve déjà en Afrique du Sud. Après le colonel Patrick Karegeya, l’ancien patron du contre-espionnage (External security), c’est un officiel ayant appartenu au premier cercle du pouvoir de Kagame qui fait défection. Malgré la sérénité affichée par ce dernier, il apparaît que quelque chose ne tourne plus rond dans ce pays présenté comme un modèle de stabilité et de gouvernance...
Que se passe-t-il au Rwanda? Suspecté d’être le commanditaire des attentats à la grenade qui continuent à secouer la capitale rwandaise à quelques mois des élections présidentielles, le général Kayumba Nyamwasa a été convoqué par les autorités militaires pour répondre des accusations mises à sa charge. N’ayant manifestement pas confiance à l’impartialité des institutions dont il a participé à la mise en place, l’homme a préféré prendre ses jambes avec son cou. Les autorités de Kigali ont aussitôt suspecté l’Ouganda de Yoweri Kaguta Museveni d’héberger le «fugitif». Le ministre ougandais des Affaires étrangères y a opposé un cinglant démenti. On peut comprendre la colère de l’homme fort de Kigali. En effet, Kayumba n’est pas un "plouc". Avant d’être envoyé dans un exil doré en qualité d’ambassadeur en Inde, cet officier, formé en Ouganda dans les rangs de la NRA (National Resistance Mouvement), a été le tout premier «commandant en chef» de l’APR (Armée patriotique rwandaise), rebaptisée depuis RDF (Rwandese Defence Forces).Il semble bien que, dans sa fuite éperdue, ce général n’ait fait qu’une “petite escale” à Mbarara. Pour cause, depuis la fin des années 50, le pays de Museveni héberge encore une importante population d’origine rwandaise. Kagame recruterait des «agents dormants» au sein de cette communauté à majorité tutsie.
Après le transit, le général fugitif a rejoint la ville kenyane de Malaba, dans le district de Teso. Le chef de la diplomatie ougandaise a reconnu ce «transit» qui a eu lieu le 27 février dernier tout en niant l’implication de son pays dans cette nouvelle défection. Aux dernières nouvelles, Kayumba se trouverait en Afrique du Sud où il aurait introduit une demande d’asile. Dans un commentaire intitulé «Général Kayumba Nyamwasa, une victime de son propre succès», publié dans le journal ougandais «The Observer», daté 8 mars, le journaliste Pius Muteekani Katunzi, renvoie Kagame et Nyamwasa dos à dos. Il tire néanmoins à boulets rouge sur le "fuyard", présenté comme un des dirigeants rwandais qui exécutaient sans sourciller les ordres du président Paul Kagame. "Nyamwasa, écrit-il, n’est pas un officiel rwandais quelconque. Il a appartenu, un certain moment, au premier cercle du «clan Baganza» qui exerce le pouvoir autour du président Kagame». Et d’ironiser que Nyamwasa aurait confié qu’il a dû quitter le Rwanda afin d’échapper à une justice inféodée au pouvoir. Selon ce journaliste, ce général et quelques autres officiels rwandais ont contribué au culte de personnalité pour Kagame au lieu d’oeuvrer à la mise en place des institutions fortes. «Quel paradoxe, s’est-il interrogé, d’entendre aujourd’hui le même Nyamwasa qualifié Kagame de dictateur absolu, corrompu par un pouvoir absolu? Et si c’était lui qui a, finalement, aidé Kagame à devenir un dictateur absolu?» On rappelle que le colonel Patrick Karegeya, alors tout-puissant patron des services des renseignements extérieurs (External security), avait quitté Kigali dans les mêmes conditions, après plusieurs mois d’assignation à résidence. C’était en novembre 2007.
Depuis quelques jours, un document circule sur le «Net». Il émanerait d’un certain lieutenant Aloïs Ruyenzi qui se présente comme un ancien membre de la garde rapprochée de Paul Kagame. Ruyenzi qui vivrait en exil dans un «pays sûr», accuse le numéro un rwandais d’avoir commandité l’attentat contre le Falcon 50 qui transportait, le 6 avril 1994, le président Juvénal Habyarimana et son homologue burundais Cyprien Ntaryamira. «Des crimes ont été commis à large échelle sur ordre de Kagame», écrit-il dans un parfait anglais.Ruyenzi dit avoir été envoyé au Zaïre lors de la guerre de l’AFDL. «Mon rôle, souligne-t-il, était d’informer le général Kagame sur le déroulement des opérations sur le terrain.» Le sous-officier de décrire Paul Kagame comme un homme violent qui ne fait confiance qu’à lui-même. «Il suffit qu’un bulletin d’information vous accuse de « déloyauté » pour avoir des pires ennuis. Et ce y compris l’élimination physique.» Dans une récente déclaration, Kagame a laissé entendre que «personne ne peut faire un coup d’Etat» dans son pays. Reste que la fuite du colonel Patrick Karegeya, les attentats à la grenade dans la capitale - que d’aucuns attribuent à certaines officines du pouvoir –, la défection du général Kayumba Nyamwasa et la candidature symbolique de Victoire Ingabire, une Hutu, à l’élection présidentielle indiquent que «quelque chose» est entrain de bouger dans ce pays dirigé d’une main de fer depuis quinzaine années.
Issa Djema/B.A.W