La vielle Colette Braeckman et l’assassinat d’Armand... Braeckman, Kasamba, Muabilu.. Des journalistes à grand coup de dollars
«Au vu de cette nouvelle mort, hélas non suspecte, on ne peut
qu’avancer trois conclusions: la campagne électorale précédant les élections de
2011 a déjà commencé, elle sera dure et aura plusieurs facettes, dont les
attaques directes contre Kabila, la remise en cause de ses origines (thème
connu), la contestation de son action, et surtout la provocation. Sur ce terrain
là, l’opposition jouera sur du velours: les services de sécurité sont nerveux,
répondent brutalement à la moindre provocation (…). Mais on peut aussi se
demander si le pouvoir n’est pas séduit par le “modèle rwandais”, qui fait déjà
école au Burundi: développer le pays, essayer de le faire avancer à tout va,
multiplier les contrats, restaurer, autant que faire se peut, l’autorité de
l’Etat et en même temps serrer la vis à l’opposition, se montrer intolérant face
à la contestation et… ne pas craindre de tuer, plus pour l’exemple et la
dissuasion que par goût de la répression…». Telle est l’interprétation que la
journaliste belge Colette Braeckman se fait de l’assassinat d’Armand Tungulu par
le régime « Kabila ».
D’emblée, en parlant de “nouvelle mort” plutôt que
d’assassinat, Braeckman adoucit l’ampleur et l’horreur du crime commis. Avec
raison, elle y voit le commencement de la campagne électorale. Mais elle se
refuse de dire qui a commencé la campagne avant l’heure. Ce n’est certainement
pas Armand Tungulu. « Joseph Kabila » est celui qui a commencé la campagne
électorale… par un meurtre. Cela signifie que sa campagne électorale sera
sanguinaire. Une fois de plus, la journaliste choisit délibérément d’adoucir la
nature criminelle annoncée de la campagne en parlant de campagne “dure”. La même
préoccupation se retrouve plus loin dans l’élégante expression “serrer la vis à
l’opposition” qui cache des réalités nauséabondes comme les assassinats de
Floribert Chebeya et Armand Tungulu. On se serait attendu à ce que
Braeckman décline les multiples facettes de la campagne qui a déjà commencé,
c’est-à-dire celle de « Joseph Kabila ». Mais la journaliste préfère détourner
l’attention du lecteur de la nature du régime « Kabila » pour s’étendre sur la
campagne qui n’a pas encore commencé, celle des opposants. Ici aussi, les mots
sont bien choisis : “attaques directes” ; “remise en cause des origines” ;
“contestation” et surtout “provocation”. Il n’y a pas meilleure façon de dire du
mal et de discréditer ou disqualifier l’opposition congolaise. « Joseph Kabila
», le bourreau dont le régime assassine des fils et filles du pays, est présenté
en victime. A travers cette tactique, Braeckman sollicite la sympathie du
lecteur en faveur du criminel. Elle profite aussi de l’occasion pour revisiter
voire rappeler subtilement le diktat occidental qui voulait que les candidats à
l’élection présidentielle de 2006 ne soulèvent pas la question des origines de
l’imposteur. On se souviendra qu’alors que partout au monde le passé d’un
candidat constitue la première marchandise à vendre aux électeurs, au Congo, les
puissances occidentales l’avaient élevée au rang de tabou pour protéger leur
candidat.
Braeckman prend une précaution inutile en écrivant : « Mais on
peut aussi se demander si le pouvoir n’est pas séduit par le “modèle rwandais”
». Son message est très clair. Il y a une modèle politique à suivre : le Rwanda
où Paul Kagamé préfère parler de développement plutôt que de la démocratie et du
respect des droits de l’homme. Notons que ce type de discours n’est pas nouveau.
Suite à la chaotique démocratisation du continent, les “démocratiseurs”
occidentaux sont gagnés par l’afro-pessimisme. Les paralysies institutionnelles,
les violences et les crimes politiques de tout genre les ont tellement refroidis
qu’ils s’abstiennent de faire office de donneurs de leçons ou de croisés
inconditionnels de la démocratie. Déjà en 1996, on pouvait lire sous la plume de
la même Braeckman : «On entend formuler l’opinion qu’il y aurait des coups
d’Etat plus justifiables, moins blâmables que d’autres » (Le Soir, 2 juillet
1996). Quant aux droits de l’homme et à la démocratisation, ils sont
progressivement rayés de l’ordre du jour au profit du seul critère de la bonne
gouvernance ou même de la stabilité pour la tranquillité des affaires.
Là où les propos de Braeckman deviennent extrêmement graves, c’est quand
elle franchit la ligne rouge et justifie l’injustifiable : les assassinats
politiques. Quand elle écrit : «… se montrer intolérant face à la contestation
et… ne pas craindre de tuer, plus pour l’exemple et la dissuasion que par goût
de la répression », il y a lieu de se demander si son texte décrit une situation
ou rapporte les propos des services de sécurité de « Joseph Kabila ». Mais,
prenons exactement la même précaution qu’elle, on peut aussi se demander si elle
ne délivre pas un permis de tuer au nom du développement. Au fait, comment cette
étrangère à la culture politique congolaise peut-elle être aussi certaine que
les assassinats politiques ont lieu plus pour dissuader les opposants que par
goût de la répression ? Qu’est-ce qui autorise une telle certitude ? Braeckman
a-t-elle obtenu des confidences de « Joseph Kabila » à ce sujet ? Si oui, quand,
où et comment ? Et surtout, en vertu de quoi ces confidences seraient-elles
crédibles au point d’être reprises sans la moindre nuance ?
Braeckman
semble avoir été à la bonne école de la musique congolaise moderne tellement
elle rejoue avec brio la célèbre chanson « DG » de Lwambo Makiadi : « Ozalaka
kaka moto DG. Entourage esalaka mabe ». La passionaria qui avait l’habitude de
tirer à boulet rouge sur le dictateur Mobutu ne met nullement en cause le
despote « Joseph Kabila ». Seuls les services de sécurité seraient “nerveux”.
Pourtant, pour qui connaît le Congo, les services de sécurité ou d’insécurité
permanente, pour être juste, reçoivent leurs ordres de la « Haute Hiérarchie ».
C’est parce que celle-ci est “nerveuse” que les services le sont aussi. Aussi
sont-ils assurés de l’impunité. Faut-il apprendre cela à une spécialiste des
questions africaines ? L’objectif de Braeckman n’est-il pas ici de soigner
l’image d’un criminel notoire et récidiviste ?
Quand Braeckman évoque
les assassinats politiques, “plus pour l’exemple et la dissuasion que par goût
de la répression”, il est curieux de constater qu’elle n’envisage pas un seul
instant que les opposants puissent eux aussi recourir à la même arme.
Pourrait-elle expliquer la raison d’être d’un si grand oubli ? Venant de la part
d’un être doué de toutes ses facultés mentales, un tel oubli ne s’apparente-t-il
pas à un parti pris ? Si le régime « Kabila » peut tuer les opposants au nom du
développement, Braeckman devrait expliquer pourquoi ces derniers ne
tueraient-ils pas « Kabila » au nom du même développement qu’ils ne voient nulle
part. N’est-ce pas ?
Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo