Questions directes à Jean-Claude Ndjakanyi
Par jugement rendu le 8 décembre 2010, la Chambre civile du Tribunal de première instance de Bruxelles s’est déclarée «sans compétence internationale» pour exiger la restitution et le rapatriement en Belgique de la dépouille mortelle du Bruxellois Armand Tungulu Mudiandambu donnant gain de cause à l’Etat congolais. Cette juridiction a donc rétracté son ordonnance rendue le 11 octobre 2010 condamnant le même Etat congolais à «procéder au rapatriement en Belgique de ladite dépouille mortelle endéans 48 heures de la signification de la présente ordonnance et ce, sous peine d’une astreinte de 25.000€ par jouir de retard (…) ». Dans cette ordonnance, ce tribunal s’estimait compétent au motif que le juge saisi par la veuve Tungulu «est celui du lieu dans lequel l’obligation en litige doit être exécutée». Conseil de la partie défenderesse, l’avocat bruxellois Jean-Claude Ndjakanyi commente ce qui ressemble bien à un coup de théâtre judiciaire.
Le Tribunal de première instance de Bruxelles a rendu son jugement sur la tierce opposition introduite par l’Etat congolais contre l’ordonnance du 11 octobre dernier. L’Etat congolais a eu gain de cause. Comment expliquez-vous ce qui ressemble bien à un coup de théâtre ?
C’est une décision de justice qui a tenu compte de beaucoup de paramètres. Des paramètres qui, de mon point de vue, ne devraient pas justifier cette décision.
Avez-vous des exemples?
J’imagine que vous étiez présent à l’audience. Vous avez sans doute constaté l’embarras du substitut du procureur du roi par rapport au litige examiné par cette juridiction. Vous avez suivi les questions qui ont été posées aux conseils de l’Etat congolais mais aussi les différentes plaidoiries. Vous pouvez vous faire une idée de la «perplexité» qui a régné et règne encore dans cette affaire. Tous ces faits peuvent expliquer cette décision inattendue. Le problème est loin d’être réglé.
Nous sommes aujourd’hui le vendredi 17 décembre. Avez-vous déjà reçu signification de ce jugement?
Pas encore. J’attends donc avec intérêt que l’Etat congolais signifie cette décision à ma cliente. J’ai appris par voie de presse qu’un communiqué a été publié à Kinshasa au sujet de ce jugement. Il s’agit d’un communiqué du ministre de la Communication et des médias dans lequel celui-ci félicite les conseils de l’Etat congolais ….
Je souhaiterais demander à mes confrères de solliciter l’autorisation du ministre pour signifier ce jugement. Je mets le ministre de la Communication au défi de donner instruction aux avocats qu’il a par ailleurs félicité de signifier cette décision judiciaire à la partie adverse. A ce jour, il n’y a aucun élément qui indique que nous sommes saisis officiellement. Je tiens cependant à vous dire que le Greffe a eu la «gentillesse» de m’envoyer une copie de cette décision. La signification incombe à la partie adverse et non au Greffe. Il est surprenant d’entendre cette même partie adverse se gargariser des communiqués comme si l’affaire Tungulu était désormais classée.
Que comptez-vous faire maintenant?
Je ne vais pas croiser les bras en attendant cette notification. Si celle-ci n’est pas faite dans les prochaines heures, je dispose de deux options : faire exécuter l’ordonnance du 11 octobre 2010 ou interjeter appel. J’espère que l’Etat congolais se décidera finalement à sortir du bois.
Certains observateurs se demandent pourquoi la veuve Tungulu ne décide-t-elle pas d’aller à Kinshasa pour identifier et obtenir la restitution du corps ? Ma cliente va aller à Kinshasa pour faire plaisir à qui ? Savez-vous que deux mois après la mort de son mari, elle n’a aucune information sur le lieu où se trouve le corps ? Il faut bien qu’une autorité congolaise fixe ma cliente sur le lieu où se trouve la dépouille mortelle. Notre exigence reste inchangée : le corps doit être restitué à la famille. Le rapatriement doit être fait en Belgique.
Revenons un peu en arrière. Le 11 octobre dernier, le Tribunal de première instance de Bruxelles se dit «compétent» et prend l’ordonnance condamnant l’Etat congolais à restituer et à rapatrier la dépouille mortelle d’Armand Tungulu Mudiandambu en Belgique. Le 8 décembre, la même juridiction se déclare «incompétente au plan international» du fait que l’objet du litige se trouve sur le territoire congolais. Comment expliquez-vous ce qui apparaît pour les profanes comme une «contradiction» au sein d’une même juridiction ?»
Il me semble que c’est bien la raison qui «bloque» l’Etat congolais à signifier ce jugement. Je ne crois pas un seul instant que la Cour d’appel de Bruxelles va suivre ce deuxième raisonnement. Nous considérons, pour notre part, que le problème n’a pas été résolu.
Qu’en est-il de la plainte portée au pénal au sujet de la même affaire Tungulu?
Nous sommes encore dans la phase d’instruction. Au pénal, l’instruction est secrète. Je ne peux donc rien vous dire pour le moment. Au début de l’année prochaine, je vais introduire une demande d’accès au dossier.
La procédure au pénal implique la «responsabilité individuelle». Quelles sont les personnes qui sont citées dans cette plainte?
C’est le cas notamment du commandant de la garde présidentielle à Kinshasa. Il en est de même d’autres personnes qui, de près ou de loin, ont été témoins ou complices de ce qui s’est passé.
Après le jugement du 8 décembre 2010, peut-on dire que l’Etat congolais a remporté la «première manche»?
L’Etat congolais n’a encore rien gagné. Celui qui remporte un trophée ne le garde pas derrière son dos. Il doit le brandir. Dans le cas qui nous occupe, l’Etat congolais doit signifier la décision de justice à la partie adverse.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi