Justice : Affaire Tungulu devant la Cour d’appel de Bruxelles
La chambre civile de la Cour d’appel de Bruxelles va examiner, jeudi 28 avril prochain, l’appel interjeté par la veuve et enfants Tungulu à l’encontre du jugement rendu le 8 décembre par le Tribunal de première instance de Bruxelles. Cette juridiction s’est déclarée «incompétente» dans l’affaire qui oppose cette famille à l’Etat congolais. L’enjeu : la restitution et le transfert en Belgique de la dépouille mortelle d’Armand Tungulu Mudiandambu «suicidé» le 2 octobre 2010 dans un cachot de la garde prétorienne de «Joseph Kabila». Dans une ordonnance datée du 13 octobre 2010, la même juridiction, saisie en urgence par la veuve et les enfants Tungulu, s’estimait compétente et enjoignait à l’Etat congolais de restituer à la famille la dépouille du défunt. D’où l’appel.
«Mieux vaut un mauvais arrangement plutôt qu’un bon procès», aiment rappeler les juristes. Six mois après l’annonce du «suicide» d’Armand Tungulu Mudiandambu dans un cachot de la garde prétorienne de «Joseph Kabila» à Kinshasa, il n’y a eu ni un mauvais arrangement encore moins un procès au mieux des intérêts des parties. Bien au contraire. Ici, le bourreau s’est arrogé non seulement le droit d’ôter la vie mais aussi celui de disposer du corps de sa victime. Six mois après, la veuve Tungulu, née Philo Nzomina Maloka, et ses enfants attendent désespérément de recevoir l’acte officiel certifiant le décès de son époux et père. Pire, le pouvoir a procédé à l’inhumation d’un homme présenté comme étant Armand Tungulu Mudiandambu. Aucune copie du permis d’inhumation n’a été présentée à la famille du disparu.Le rapatriement du corps
Six mois après le décès du jeune bruxellois, la demande de sa famille n’a pas changé comme l’a confirmé son avocat-conseil, Jean-Claude Ndjakanyi, au cours d’un entretien : «La demande de la famille Tungulu reste toujours la même : le rapatriement du corps.» Lors de l’examen de la tierce opposition introduite par l’Etat congolais, le Tribunal de première instance de Bruxelles s’est déclaré
«incompétent» au motif que l’objet du litige se trouve en RD Congo et que la justice belge ne peut enjoindre aux autorités judiciaires congolaises d’exécuter une de ses décisions. La même difficulté ne va-t-elle pas se poser? «Ma cliente ne demande pas l’exécution d’une décision judiciaire, répond Me Ndjakanyi. Elle demande, sur le plan civil, que le corps, qui appartient à la famille du défunt, soit restitué à celle-ci afin qu’elle commence le travail de deuil et organise l’enterrement.» Pour l’avocat bruxellois, cette juridiction de second degré aura à examiner "si les faits ont été bien qualifiés et si la loi a été bien appliquée".
Le Bruxellois Armand Tungulu est arrivé le 15 septembre 2010 dans le cadre d’un «voyage d’affaires». Activiste politique bien connu au sein de la bouillante diaspora congolaise de Belgique, «Armand» n’a jamais fait mystère de son aversion du «kabilisme». «Lors d’une veillée mortuaire à Kinshasa, Armand a fustigé à très haute voix l’incapacité des gouvernants en place à fournir à la population les conditions minimales et la possibilité de satisfaire les besoins essentiels en eau et électricité», raconte un de ses proches. Le 29 septembre, Tungulu est appréhendé par des éléments de la garde présidentielle sur l’avenue du 24 novembre. Il est accusé d’avoir lapidé le cortège de «Kabila». Personne ne connaître la "part de vérité" de l’accusé. Le 2 octobre, un communiqué du procureur général de la République annonçait le décès du prévenu par «suicide».
Dès l’annonce du décès, la famille Tungulu à Bruxelles tentera en vain de prendre langue avec les officiels congolais dont l’ambassadeur de la RD Congo à Bruxelles. A Kinshasa, l’affaire a pris une tournure politico-judiciaire du fait de «l’implication» de la personne du chef de l’Etat. «La famille à Kinshasa ne sait à quelle porte frapper, confie des proches du défunt. Toutes les autorités contactées se comportent en Ponce Pilate. Personne n’ose se mouiller. L’ambiance est à l’intimidation.» Certains membres de la famille kinoise n’excluaient pas que leurs lignes téléphoniques étaient mises sur écoute. C’est à croire qu’il n’y a point de voie de recours pour tout citoyen en conflit avec le premier magistrat du pays. La condamnation est d’office.
Bataille judiciaireFace au mur d’arrogance et d’autisme érigé par le pouvoir congolais, la famille Tungulu n’a pas eu d’autre choix que de saisir la justice du pays de résidence, en l’occurrence la justice belge. Saisi en urgence par la veuve et les enfants Tungulu, le tribunal de première instance de Bruxelles a pris le 13 octobre 2010 une ordonnance enjoignant l’Etat congolais de restituer à la famille la dépouille du défunt sous peine d’une astreinte de 25.000 euros par jour de retard, 48 heures après signification. Le conseil de l’Etat congolais introduit aussitôt une tierce opposition devant la même juridiction. Dans la capitale congolaise, la décision judiciaire précitée a eu l’effet d’un séisme. Les autorités judiciaires ont publié un communiqué daté du 14 octobre invitant la famille Tungulu à entrer en contact avec l’auditeur militaire près la cour militaire de la Gombe. Une fuite en avant pour le moins tardive.
Lors de l’audience qui a eu lieu le 29 octobre à Bruxelles, l’avocat de la République a exigé la rétractation de l’ordonnance précitée arguant que cette décision méconnaissait les principes de souveraineté et d’indépendance de l’Etat congolais. La partie défenderesse, elle, est restée imperturbable en réclamant la restitution du corps. Le verdict est tombé le 8 décembre.
Dans sa motivation, le juge écrit notamment : «(…). La République démocratique du Congo sollicite la rétractation de l’ordonnance rendue sur requête unilatérale du 11 octobre 2010, et partant la suppression de l’astreinte qui y est contenue. Elle soulève une exception d’incompétence internationale des tribunaux belges, l’exception d’immunité de juridiction, une exception d’incompétence matérielle et conclut, en tout état de cause, au non-fondement de la demande originaire formulée sur requête unilatérale. (…). Il résulte de cette analyse que la République démocratique du Congo est en droit de soulever les exceptions qu’elle met en avant dans le cadre de la présente procédure. (…). La cause présente un élément d’extranéité, de sorte qu’elle pose la question de savoir si le juge belge peut connaître la demande originaire dont il a été saisi». «Pour ces motifs, décide le Tribunal, disons que nous avons compétence internationale pour connaître la tierce-opposition. (…). Disons pour droit que le juge saisi de la requête unilatérale est sans compétence internationale pour connaître de l’action diligentée par la partie Nzomina-Iluo. Par voie de conséquence, prononçons la rétractation de l’ordonnance prononcée sur requête unilatérale le 11 octobre 2010. Condamnons les parties Nzomina-Iluo à payer à la République démocratique du Congo la somme de 431,34 euros à titre de frais de citation et la somme de 1.800 euros à titre d’indemnité de procédure. Ainsi jugé et présenté à l’audience publique des référés du 8 décembre 2010.» Enterrement sans permis d’inhumation
Le 31 décembre, on apprenait que le corps d’un homme présenté comme étant Armand Tungulu Mudiandambu a été enterré dans un cimetière de la banlieue kinoise en présence d’un "oncle paternel" du défunt. Et ce, à l’insu du reste de la famille. A Bruxelles, la veuve Tungulu ne cessait d’exiger des images pour s’assurer que l’homme dont question est bel et bien son époux. Elle attend toujours de recevoir le certificat de décès émis à cet effet. Six mois après. «Chaque fois qu’une personne décède, explique Me Ndjakanyi, la mort est constatée au plan juridique par un certificat de décès. A ce jour, cet acte officiel n’a toujours pas été transmis à la famille Tungulu par les autorités congolaises compétentes. On se trouve là face à un cas assez exceptionnel. C’est la première observation. Celle-ci sera soulevée devant la Cour d’appel de Bruxelles.» Depuis l’annonce de cette inhumation que d’aucuns ont qualifié de «clandestine», un étrange silence s’est abattu sur cette affaire. «C’est un silence lié à la procédure elle-même, dit-il. Après le jugement du 8 décembre, nous n’avons pas croisé les bras. Bien au contraire, nous avons pris le temps de rédiger le recours devant la Cour d’appel. Nous avons appris sur les entrefaites que le corps a été inhumé. Au moment où je vous parle, aucun permis d’inhumation n’a été délivré. Il y a sans doute des «choses» que l’on voudrait dissimuler. C’est ma seconde observation.» L’avocat bruxellois d’estimer qu’en l’absence du certificat de décès et du permis d’inhumation, la famille Tungulu est en droit de considérer que «Armand» n’a pas encore été enterré. Faute d’éléments probants.
"J’irai jusqu’au bout"
L’affaire Tungulu met à nu une réalité. A savoir que le chef de l’Etat congolais est un intouchable. Il est au-dessus des lois. Par conséquent, tout citoyen devant l’affronter dans un dossier judiciaire ne jouit d’aucun recours pour faire valoir ses droits. «C’est un constat malheureux, notre interlocuteur. Je continue à penser que la justice congolaise aurait dû faire diligence pour faire éclater la vérité sur ce qui s’est réellement passé le 29 octobre et le 2 octobre 2010. Le Parquet dont la mission est de protéger la société a inventé le scénario du "suicide" pour ne pas rendre justice à une victime.» Sur un ton presque comminatoire, il ajoute : «La preuve est ainsi faite que la justice congolaise est malade. Il faut redouter que les justiciables décident de se faire justice eux-mêmes chaque fois qu’ils sont en litige avec un "puissant".»
Lors de l’audience du 29 octobre dernier, la veuve Tungulu, née Philo Nzomina Maloka, s’était confiée à Congo Indépendant. Que fera-t-elle au cas où le corps de son défunt époux ne serait ni restitué ni rapatrié? «J’irai jusqu’au bout, martelait-elle. J’exige et je continuerai à exiger la restitution du corps. L’audience qui vient d’avoir lieu devant le Tribunal de première instance de Bruxelles marque en réalité le début d’une longue bataille judiciaire.»
B.A.W/Issa Djema