Procès Chebeya & Bazana : «Joseph Kabila», le tueur aux mains propres
La Cour militaire de Kinshasa a rendu jeudi 23 juin 2011 son verdict - prévu initialement le 16 juin dernier - à l’encontre des policiers poursuivis dans l’affaire relative au double assassinat du militant des droits de l’Homme Floribert Chebeya Bahizire et de son chauffeur Fidèle Bazana Edadi. Quatre condamnations à mort, une détention à perpétuité et trois acquittements ont été prononcés. Hormis le colonel Daniel Mukalay wa Mateso, chef adjoint de la tristement célèbre «DRGS» (Direction de renseignements généraux et services spéciaux de la police), tous les condamnés à mort partagent un signe particulier : ils sont «en fuite». C’est le cas notamment de : major Christian Ngoy Kenga-Kenga, commandant du fameux «bataillon d’élite Simba», l’inspecteur Paul Mwilambwe et du sous-commissaire Blaise Mandiangu.
«Auteur intellectuel» ou bouc émissaire?
Selon le colonel Camille Masungi Muna qui présidait cette juridiction militaire, le colonel Mukalay est "l’auteur intellectuel" de l’assassinat de Floribert Chebeya. Mukalay a "mené l’opération d’un bout à l’autre". Les trois autres condamnés à mort ont été les «tueurs directs» du militant des droits de l’Homme. C’est le cas notamment du major - lieutenant-colonel ? - en fuite Christian Ngoy, un "spécialiste en arts martiaux".
Le but d’un procès est de faire éclater la vérité en reconstituant les pièces d’un puzzle. Il s’agit de savoir qui a fait quoi? On peut difficilement affirmer que le procès Chebeya débuté le 12 novembre 2010 et dont la sentence a été rendue jeudi 23 juin 2011 a fourni des réponses à quelques questions essentielles. Qui a tué Floribert Chebeya et Fidèle Bazana? Quel en est le mobile? Qui a commandité ce double assassinat? Qu’est-il advenu du corps de Bazana ? On ne peut que comprendre le communiqué publié le mercredi 16 juin par «La Voix des sans-Voix» exigeant l’arrestation et la comparution du général John Numbi Banza Tambo, Inspecteur divisionnaire en chef de la police nationale. Celui-ci demeure, en effet, le «suspect n° 1» dans cette affaire que d’aucuns qualifient de crimes d’Etat. Etrangement, Numbi n’a été entendu que comme "témoin".Rendez-vous fatal
C’est bien John Numbi qui avait invité Chebeya à venir le voir à son bureau le mardi 1er juin 2010 à 17h30. Selon les confidences faites à l’auteur de ces lignes par le sous-commissaire Amisi Mugangu, un des proches à Mukalay, le lundi 31 mai 2010, Numbi instruisait le «colonel Daniel» de convoquer le directeur exécutif de "La Voix des Sans Voix" à son bureau. Le mardi 1er juin, le défenseur des droits humains est allé au rendez-vous fixé à 17h30. Méfiant, il préviens par sms son épouse «Annie» : «Je vais rencontrer l’inspecteur général à 17h30. Floribert». Il envoie un texto identique à quelques «amis» y compris à la responsable de la Division des droits de l’homme de la Mission onusienne au Congo. «OK, merci de m’informer», répond la fonctionnaire onusienne. A 19h46, l’épouse Chebeya reçoit un second sms non signé libellé comme suit : «Je n’ai pas rencontré l’inspecteur général, je crois qu’il est retenu quelque part. Je vais à l’UPN». Un troisième texto non signé arrive : «Je te rappelle dès que je me dégage». Vers 21h00, l’agent de la Monuc reçoit à son tour un sms : «Je n’ai pas pu rencontrer l’inspecteur général ».
Le mercredi 2 juin, le corps sans vie de Chebeya est retrouvé à plusieurs kilomètres de l’inspection générale de la police. Bazana, lui, est porté disparu. Que s’est-il passé au siège de la Police nationale ? Commissaire adjoint de la police nationale, Amisi Mugangu, affirme avoir participé à l’exécution de Chebeya. Après avoir fait des aveux le 4 juin 2010 devant les «enquêteurs» du Conseil national de sécurité (CNS), Amisi a pris le chemin de l’exil. Destination : Ouganda plus particulièrement à Iganga, près de la frontière avec le Kenya. Ancien chauffeur et confident de Daniel Mukalay, l’homme en savait trop. Il se disait traquer par des nervis du pouvoir. «S’ils m’attrapent, je suis un homme mort», clamait-il. Il n’hésitait guère à citer les noms des ses poursuivants : Elie Lungumbu, ancien Redoc de l’ANR à Bukavu, Marcel Mbangu, colonel et deuxième conseiller à l’ambassade de la RD Congo à Kampala. «Marcel Mbangu est un spécialiste en rapt», confiait-il.
Avant sa disparition « définitive» le 26 novembre dernier à Kampala, Amisi a eu le temps de livrer quelques éléments : «Floribert Chebeya devait être exécuté le 23 mai 2010. Nous étions en embuscade aux environs de son domicile. Nos informateurs s’étaient trompés. La «cible» était rentrée plus tôt que prévu à son domicile. L’ordre final d’abattre Chebeya a été donné au colonel Daniel Mukalay par le général John Numbi instruit par la "haute hiérarchie". C’était le lundi 31 mai à 10h00. Chebeya a été exécuté par étouffement. Après cela, nous nous sommes«occupés» de son chauffeur. Son corps a été immergé dans le fleuve aux environs de Kinsuka.» Quel était le mobile ? «Chebeya, dit Amisi, dérangeait le pouvoir de notre président. Il donnait une mauvaise image du régime à travers des rapports sur la situation des droits de l’homme.»
Agitation à la Présidence de la République
Dès le lendemain de l’annonce de la disparition de Chebeya, «Joseph Kabila» convoque une «réunion extraordinaire» du Conseil supérieur de la défense. Une première. Il dit haut et fort sa volonté de «faire toute la lumière» sur la disparition de ce valeureux fils du pays. Le ministre de l’Intérieur et sécurité publie un communiqué réaffirmant la volonté du gouvernement de clarifier les circonstances de ce meurtre. Dans une parfaite mise en scène, le patron de la police est «suspendu». Conseiller spécial en matière de Sécurité, Pierre Lumbi Okongo, est dépêché le vendredi 4 juin 2010 auprès de la veuve Chebeya afin de lui présenter les «condoléances» du chef de l’Etat et l’assurer de "sa détermination" à «faire toute la lumière» sur cette affaire. La décision rendue par la Cour militaire de Kinshasa-Gombe n’a pas honoré cette promesse. L’opinion reste à sa faim.
Des crimes non élucidésLe 16 janvier 2001, LD Kabila meurt. Il est remplacé par «Joseph». Le 26 janvier, le nouveau chef de l’Etat est investi. Va suivre, une série d’exécutions extrajudiciaires camouflées en crimes crapuleux. Des crimes non-élucidés. Quelques cas en guise d’illustration.
Dans la nuit du 28 au 29 septembre Steve Nyembo Mutamba, est exécuté dans son domicile au Quartier Binza-Pigeon dans la commune de Ngaliema. Directeur des ressources humaines à la Dgi (Impôts), Nyembo était un «homme à femmes». A preuve, après avoir accompli leur forfait, les tueurs ont sectionné l’appareil génital de leur victime et brûler son corps. Accusé d’avoir commandité cet homicide, l’ex-tout-puissant procureur près la Cour d’ordre militaire, Charles Alamba Mungako, n’a jamais cessé de clamer son innocence. Il croupit dans une cellule de la prison de Makala. Et pourtant. Selon des témoins, des limousines de la Présidence de la République venaient souvent chercher «Steve». Qui envoyait ces véhicules chercher le don juan? Jaynet Kabila? Mama Sifa? Mystère. Cette piste a été ignorée par les enquêteurs. Des observateurs avertis imputent la mort de Nyembo à des éléments de la garde présidentielle, l’ex-GSSP.
Le 31 juillet 2005, Pascal Kabungulu, défenseur des droits humains, est abattu à Bukavu par des hommes armés non autrement identifiés. Il était le secrétaire exécutif de l’Ong «Héritier de la justice». Six années après, le procès des présumés assassins n’a pas fait éclater la vérité. Le dossier est quasiment classé au niveau des juridictions militaires.
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Dans la nuit du 2 au 3 novembre 2005, Franck Kangundu dit «Ngycke», journaliste au quotidien «La Référence Plus» et son épouse, Helène Mpaka sont abattus devant le portail d’entrée de leur habitation. Selon des investigations menées notamment par l’Ong « Journalistes en danger » (JED ), il apparaît que Ngycke aurait été abattu pour avoir divulgué un «secret d’Etat». Il s’agit d’un «don» d’un import de 30 millions US$ que «Joseph Kabila» aurait offert au gouvernement tanzanien. A en croire « JED» Ngycke aurait tenté sans succès de monnayer son silence.
Un fait troublant. Le 2 novembre 2005, les policiers de la très redoutée DRGS ou « Kin Mazière » ont procédé à l’arrestation du journaliste Patrice Booto Luafa. Editeur des journaux «Le Journal» et «Pool Malebo», Booto est accusé d’avoir fait publier l’information sur le fameux don présidentiel. Franck Ngycke l’avait-il tuyauté ? Booto a-t-il révélé le nom de sa source sous la torture? La suite est connue.
Dans la nuit du 7 au 8 juillet 2006, le journaliste Louis Mwamba Bapuwa est assassiné dans sa maison dans la commune kinoise de Matete. C’était à quelques semaines de la tenue du premier tour de l’élection présidentielle. A l’instar d’autres Congolais, Mwamba était indigné par le soutien plus qu’apparent accordé au président sortant «Joseph Kabila» par la « communauté internationale». Dans un autre article publié dans «Le Potentiel» daté du 10 juin 2006, Mwamba stigmatisait le rôle du royaume de Belgique et de la France dans la formation des forces de sécurité, dévouées au président-candidat Joseph Kabila. Bapuwa relevait par ailleurs qu’à côté de garde présidentielle (GSSP), Kabila dispose d’une police modernisée sans compter des polices privées de gardiennage qui sont sous son influence. Il poursuit : « (…) Joseph Kabila est déjà choisi par les puissances occidentales comme président de la RD Congo pour pouvoir couvrir les contrats léonins déjà signés et confirmer la suppression de la loi Bakajika (la terre appartient à l’Etat) (…) ». Dans un article publié le 6 juillet 2006 dans « Le Phare», il fustige le silence de la «communauté internationale» face à la corruption ambiante.
Le 13 juin 2007, le journaliste Serge Maheshe, secrétaire de rédaction de radio Okapi à Bukavu, est abattu par deux individus non identifiés dans la commune d’Ibanda. Le procès ouvert au tribunal de Garnison de Bukavu n’a pas permis de mettre la main sur les véritables assassins Et ce en dépit des peines de mort prononcées à l’encontre de quatre civils. Les observateurs sont unanimes de reconnaître que « le procès en première instance a été entaché de nombreuses et graves irrégularités ». C’est le cas notamment du caractère « sommaire » de l’enquête pénale.
Le 13 mars 2008, l’homme d’affaires kivutien Albert Prigogine, alias Ngezayo Safari est abattu alors qu’il était au volant de son véhicule à Goma. Les faits se sont déroulés à proximité de la résidence du gouverneur de la province du Nord-Kivu. Des questions cruciales restent sans réponses : Qui a tué sur Prigogine ? Quel en est le mobile? Qui a commandité le crime? Dans une lettre ouverte datée du 30 juin 2008 adressée à « Joseph Kabila », la famille du défunt accuse une «maffia militaro-financière» qui, selon elle, a pris le contrôle de l’appareil d’Etat. «Ce sont des militaires gradés, membres de votre armée, qui ont préparé l’assassinat. C’est un des hommes d’affaires les plus influents de la province, très proche des autorités de la ville, qui en fut le commanditaire et ces dernières étaient informées voire favorisé l’exécution de feu Albert Prigogine et le sabotage de l’enquête officielle», écrit la famille.
Le 21 novembre 2008, Didace Namujimbo, correspondant de radio Okapi à Bukavu, est tué par des "inconnus". Ceux-ci l’attendaient près de son domicile aux alentours de 21h30. Selon certaines sources, Serge Maheshe et Didace Namujimbo ont été tués à l’époque où la direction provinciale de l’ANR Sud Kivu était dirigée par un certain Elie Lungumbu.
Le 5 avril 2010, Patient Chebeya Bankome, reporter-cameraman à Béni, est "abattu à bout portant" par des «inconnus» devant son domicile, dans la commune de Mulekera. "Il a été dépouillé de son sac contenant des cassettes vidéo, son téléphone portable et une somme d’argent dont le montant n’a pas été précisé avant d’être entraîné vers le milieu de la cour, où il a été abattu à bout portant de six balles dans le corps", indique un communiqué de « JED ».
La liste est loin d’êtres exhaustive. On pourrait épingler d’autres cas : Aimée Kabila, Armand Tungulu Mudiandambu. Aimée Kabila a été abattue dans sa salle de bain par des «hommes armés». La grande majorité de ces crimes ont profité à «Joseph Kabila». Celui-ci a réussi à terroriser ses critiques au niveau médiatique où l’autocensure est désormais de rigueur.
Congo Indépendant peut révéler ici que le major fugitif Christian Ngoy est en contact permanent avec ses chefs hiérarchiques. Cet officier de police devrait un jour s’expliquer sur la disparition du sous-commissaire Amisi Mugangu. Celui-ci devait le rejoindre dans un pays africain.
Au total, le président sortant congolais est plus que jamais «le tueur aux mains propres». L’ANR (Sûreté), la Demiap (renseignements militaires), la DRGS et la garde présidentielle sont devenues des milices au service du chef de l’Etat. Il en sera ainsi aussi longtemps que l’appareil judiciaire restera inféodée au pouvoir politique.
B.A.W