LE DICTATEUR
Friands des réseaux sociaux, les Congolais ont été désagréablement surpris, dans la nuit du lundi 19 à mardi 20 janvier, de ne pouvoir se connecter à l’Internet. D’aucuns croyaient que ce genre d’abus était l’apanage des «Etats voyous» tels que l’Iran, la Corée du Nord ou la Birmanie. Erreur. A quelques vingt mois de l’organisation de l’élection présidentielle et des législatives, «Joseph Kabila» croit, par ce biais, bâillonner ses contempteurs. L’homme vient de jeter le masque en montrant sa véritable face. Celle d’un autocrate rétrograde, stupide et méchant. Excessif ? Nullement ! Depuis lundi 19 janvier, les «forces de l’ordre» tirent à balle réelle sur des citoyens dont le « crime» se résume à leur volonté d’exercer une prérogative constitutionnelle en faisant échec à l’instauration d’une «Présidence à vie». Au mépris de l’interdit constitutionnel. Le successeur improbable de Mzee a mis en marche son
«rouleau compresseur» pour «écrabouiller» les têtes de tous ses contradicteurs. Après la fermeture de plusieurs médias privés (Radio Elikya, Kin Canal Télévision, Radio Télévision Lubumbashi Jua) pour "non-respect" de l’orthodoxie d’Etat, le pouvoir kabiliste a «inauguré », mardi 20 janvier, une «chasse à l’homme». En circuit fermé. Les cibles ? Les représentants des forces politiques et sociales appartenant à l’opposition. Plusieurs opposants étaient mardi aux abonnés absents. Certains seraient entrés en clandestinité. Ancien membre de la majorité présidentielle (MP), l’avocat Jean-Claude Muyambo Kyassa a été arrêté mardi à 5h00 et transféré à la prison centrale de Makala. Les magistrats du parquet général de la République ont fait preuve d’"ingéniosité" en accusant l’ancien bâtonnier du barreau de Lubumbashi de n’avoir pas payé les taxes découlant de l’achat d’une maison. Dieu seul sait qui sortira victorieux du bras de fer engagé entre le régime kabiliste en agonie et une population congolaise résolue à voir l’avènement de l’alternance démocratique en 2016. Signes de temps. Un symbole de l’Etat a été incendié mardi 20 janvier : la maison communale de Ngaba. Autres symboles : la mort de deux policiers. Au total, on déplore entre quatre et quatorze tués. Plus rien ne sera comme avant.
Vivement l’alternance démocratique
«Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir», écrivait Jean-Jacques Rousseau dans «Le contrat social».
Depuis plusieurs années, le «divorce» était consommé entre «Joseph Kabila» et «son» peuple. En cause, l’arrogante opulence des oligarques, l’irresponsabilité, le népotisme et l’incurie. A chacune des réunions du gouvernement central, le ministre de l’Intérieur répète comme un crédo : « La situation est calme à travers le pays. Sauf quelques poches dans le Nord Kivu ». Rien d’étonnant de la part de gouvernants qui n’ont jamais été à l’écoute «de la rue».
Rarement, un Etat n’a élevé l’impuissance publique au rang de système de gouvernement. Et ce face à des bandes armées qui lui disputent ce que les juristes appellent «le monopole de la contrainte organisée» sur son propre territoire. L’Etat kabiliste s’est montré incapable de garantir aux Congolais le bien le plus précieux à tout être humain. A savoir : la vie. Les mots viol, meurtre, pillage sont banalisés dans le vocabulaire ex-zaïrois. Pire, En quatorze années de présence à la tête de l’Etat, le successeur de Mzee n’a pas pu montrer le chemin du progrès économique et social. Bien au contraire.
Aussi, l’année 2016 qui marque la fin du deuxième et dernier mandat de l’actuel chef de l’Etat est-elle perçue par la grande majorité de la population comme l’année de l’alternance démocratie. L’année du Changement.
Voilà pourquoi les représentants des forces politiques et sociales de l’opposition ont appelé la population kinoise à envahir le Parlement le lundi 19 janvier. But : empêcher l’adoption de la loi électorale modifiée laquelle conditionne, en son article 8, la tenue des élections à l’achèvement préalable du recensement.
On a assisté lundi à une bataille épique sans vainqueur ni vaincu. En vérité, le pouvoir kabiliste a perdu la face du fait de la paralysie de la ville. D’où la volonté de "punir" les leaders à l’origine de l’appel à manifester. On peut citer notamment : Vital Kamerhe, Martin Fayulu, Jean-Claude Muyambo, Franck Diongo, Kudura Kasongo etc.
Lundi 19, les réseaux sociaux (Twitter, SMS, Facebook, Instagram etc.) ont joué un rôle de premier plan dans la diffusion de la manifestation qui se déroulait dans plusieurs coins de la capitale. La photo du policier baignant dans son sang a fait le tour du monde. Sans oublier, la scène où l’on voit une escouade de policiers reculer face à des citoyens avant de détaler.
Dès minuit, l’Internet a été coupé sur toute l’étendue du territoire national. Comme à l’accoutumée, aucune explication officielle n’a été donnée à la population. Une population traitée en "mineur d’âge". En fait, le pouvoir kabiliste venait d’accomplir l’acte premier de la répression. Une répression loin des yeux indiscrets.
Muyambo arrêté
Président du parti Scode, Jean-Claude Muyambo a été arrêté aux alentours de 5 h00 par des agents de l’ANR (Agence nationale de renseignements). C’était à son domicile kinois dans le Quartier Ma Campagne. Ces agents n’ont exhibé aucun mandat émis par un officier du ministère public. Muyambo a donc été emmené sans qu’il ait été préalablement informé des motifs de son arrestation. Comment ne pas parler, dès lors d’enlèvement? Que lui reproche-t-on? Est-ce l’appel à manifester lancé le mardi 12 janvier par des opposants?
Dans un communiqué publié mardi 20, l’avocat Georges Kapiamba, président de l’Association congolaise pour l’accès à la justice (Acaj) a déclaré que Muyambo avait été "enlevé" pour avoir appelé la population de Kinshasa à manifester lundi.
Fidèle à son style bâti sur l’improvisation, le ministre de la Communication et des médias, Lambert Mende Omalanga, a aussitôt réagi sur les ondes de radio Okapi en affirmant que l’ancien ministre des Affaires humanitaires «a été arrêté par le parquet général pour une affaire n’ayant aucun rapport avec les manifestations d’hier». Sans d’autres précisions. Et d’ajouter : «Si les services de l’État qui ont qualité de policier judiciaire arrêtent quelqu’un, il ne faut pas parler d’enlèvement. Il est interpellé et nous n’allons pas tarder à savoir le pourquoi parce qu’il a le droit, sa famille, les avocats de savoir pourquoi on le prive de liberté».
A en croire Mende donc, il suffit de revêtir le titre d’officier de police judiciaire (Opj) pour arrêter qui on veut, quand on veut. Mende - qui se prévaut dans son CV d’une licence en Criminologie - semble ignorer pourtant qu’il n’y a que dans les républiques bananières où les Opj "oublient" qu’ils ne sont pas au-dessus des lois. Et qu’ils agissent sous l’autorité du Parquet et ne peuvent arrêter quiconque qu’en exécution d’un mandat de justice. Sauf, bien entendu, le cas de flagrance. Peut-on invoquer la flagrance dans le cas de Muyambo?Assurément pas!
Selon certaines indiscrétions, l’ancien ministre Muyambo est privé de liberté locomotrice et embastillé à la prison de Makala suite au "non-paiement des taxes dues à l’Etat lors de l’achat de la maison d’un sujet grec". C’est tout? Pourquoi la somme due n’a-t-elle pas été exigée au moment où l’intéressé évoluait dans la "Majorité présidentielle"? Est-ce parce que l’ex-MP donne désormais des insomnies à ses anciens camarades après son départ? L’arrestation en cause était-elle justifiée par le risque d’une fuite? Des questions qui restent sans réponses.
La journée du 20 janvier
A Kinshasa, la paix civile n’était guère de retour au cours de la journée du mardi 20 janvier. Selon une dépêche de l’AFP, plusieurs incidents ont éclaté dans quelques quartiers entre les forces de l’ordre et des groupes de jeunes. Ceux-ci avaient érigé des barricades dans les rues.
La capitale congolaise a connu une atmosphère de quasi-ville morte. Des cas de pillages ont été signalés ici et là.
On apprenait que la maison communale de Ngaba a été incendiée par une centaine de jeunes "hostiles au président Joseph Kabila", la dépêche précitée. Les forces de l’ordre étaient absentes, et les rues alentour désertes. "Les émeutiers se sont emparés d’armes à feu de la police stockées sur place", assurent des témoins. "Nous sommes fatigués de Kabila. Il faut qu’il parte, nous continuerons à manifester", a déclaré l’un des jeunes.
Comme lundi, des éléments de la garde prétorienne de "Joseph Kabila" ont tiré en l’air mardi pour disperser un groupe de pilleurs qui s’en prenaient à un magasin tenu par des Chinois.
Le projet de loi électorale modifiée en seconde lecture au Sénat
Mardi, le Sénat a entamé l’examen du projet de loi adopté, samedi, à la chambre basse. Après débat, le texte a été déclaré "recevable". La commission Politique, administrative et judiciaire (PAJ), a été chargée de procéder à un "examen en profondeur" avant la remise en discussion du document dès jeudi 22 janvier.
Notons que l’article 8 de la loi électorale en cours d’examen au Sénat énonce que "la liste électorale soit actualisée en tenant compte de l’évolution des données démographiques et de l’identification de la population qui permettra à la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) de disposer d’un fichier central de la population et d’évoluer sur des bases saines". En termes moins "ésotériques", cela signifie qu’il n’y aura pas d’élections avant la fin du recensement. On notera cette prise de position courageuse du sénateur Emery Kalamba : «Il n’est pas normal de poursuivre le débat sur une loi qui divise la population et cause des pertes en vies humaines».
Réactions
Les événements qui secouent le Congo-Kinshasa depuis bientôt 72 heures suscitent plusieurs réactions.
L’ONG "Acaj" n’est pas allée par quatre chemins. Dans son communiqué daté du mardi 20 janvier, elle condamne "l’enlèvement du bâtonnier Jean-Claude Muyambo".
L’ONG les Amis de Nelson Mandela (ANMDH) exhorte, pour sa part, "Joseph Kabila" à ne pas promulguer "la loi électorale, modifiée et adoptée, (...), à l’Assemblée nationale". Coordonnateur de cette association, Robert Ilunga a invité les parlementaires "à écouter la voix de la population qui manifeste, depuis quelques jours, contre cette loi à Kinshasa et dans d’autres villes du pays".
Pour lui, il n’est pas sûr que les élections à venir "soient apaisées" au regard de la contestation ambiante. Ilunga a, par ailleurs, "condamné" la répression des manifestations publiques ainsi que les actes de pillages et des casses qui ont émaillé ces échauffourées à travers la capitale. Et de conclure : «Nous avons des images, la population a commencé à manifester sans violence. C’est lorsque les policiers ont commencé à tirer que les jeunes gens ont, eux aussi, commencé à jeter des projectiles. Les policiers entraient dans des parcelles et arrêtaient toutes les personnes de sexe masculin. Faire quelque chose par défi, n’est pas un bon comportement de responsables».
Dans un communiqué publié le même mardi, le patron de la Mission onusienne au Congo (Monusco), l’Allemand Martin Kobler, a déploré «les morts et les blessés suite aux incidents qui se sont produits lundi matin à la suite des violentes manifestations, et l’usage de la force létale par les forces de sécurité qui s’en est suivi». Pour lui, «l’usage de la force par les forces de l’ordre doit toujours être proportionné, imposé par la nécessité, et en dernier recours.» Jouant les équilibristes, le diplomate onusien d’ajouter : «Je lance également un appel à l’opposition à manifester pacifiquement. Toute manifestation doit se faire dans le calme et dans les limites autorisées par la loi».
Dans un message daté du même mardi 20, le président de l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social) Etiennne Tshisekedi wa Mulumba dit être
"pleinement informé des dramatiques événements survenus ce lundi 19 janvier (...)". Il demande au peuple congolais "de demeurer mobilisé, de manière permanente, pour contraindre ce régime finissant à quitter le pouvoir, en usant de tous les moyens que nous confère l’article 64 de notre Constitution".
S’adressant aux forces de l’ordre, Tshiseked de leur rappeler que leur "mission républicaine" consiste à protéger le citoyen et non à obéir "à des ordres pervers, qui visent à tuer des hommes et des femmes sans défense, et dont le seul tort est de revendiquer un mieux-être". "Ils doivent savoir que ces crimes ne resteront pas impunis, et que chacun d’eux s’exposera aux poursuites, devant les juridictions compétentes", conclut-il.
L’ambassade américaine à Kinshasa n’est pas en reste. Dans une déclaration publiée lundi soir, elle souligne «l’importance de protéger l’espace politique et de garantir à tous les citoyens le droit de se rassembler pacifiquement et d’exercer leur droit de liberté d’expression.» Dans une formule plutôt convenue, l’ambassade US "appelle tous les acteurs congolais en présence à faire montre de retenue et à s’abstenir de tout acte de violence". "Les Etats-Unis réitèrent par ailleurs leur appui à la tenue d’élections pacifiques et crédibles dans les délais requis en RDC."
Même son de cloche en France où le Quai d’Orsay se dit "préoccupé par les troubles répétés" ayant émaillé le débat sur le projet de loi électorale. Et de souligner que «des débordements de ce type n’ont pas leur place dans le débat démocratique". Et qu’il "est essentiel que le cadre juridique et le calendrier global du processus électoral qui doit s’ouvrir cette année soient élaborés de façon consensuelle, dans le respect de la constitution de la République démocratique du Congo et des libertés publiques".
A Bruxelles, le ministre belge des Affaires étrangères, le libéral francophone Didier Reynders a, lui aussi, clamé sa "préoccupation". Il a appelé tous les acteurs "au calme et à la retenue" avant de rappeler "toute l’importance qu’il accordait à la tenue d’élections en RDC, qui respectent la Constitution que s’est donnée le peuple congolais en 2006". Reynders a par ailleurs exprimé sa "préoccupation quant à un possible glissement du calendrier électoral qui proviendrait de la volonté d’effectuer le recensement (de la population) avant de tenir les élections législatives et présidentielle, actuellement prévues en 2016". Pour lui, le soutien de la Belgique au processus électoral dépendait de la fourniture d’un "calendrier clair conforme à la Constitution", et d’un "budget".
Pré-déballage
L’arrestation de Jean-Claude Muyambo a provoqué une vague de colère dans certains milieux lushois. La rédaction de Congo Indépendant a été submergé d’appel. Les correspondants se disaient prêts à "déballer" tous les "méfaits" commis par "Joseph Kabila" et sa fratrie.
Un correspondant de tonner : "Fallait-il franchement humilier Maître Muyambo pour une affaire banale qu’on peut résoudre par une transaction? Que dire de la mère du chef de l’Etat, Mama Sifa Mahanya qui est mêlée dans plusieurs affaires de spoliation immobilière à Lubumbashi? Qui a oublié l’affaire de l’immeuble "Betamax" qui appartenait à Rachidi Mulalo devenu la propriété de Sifa? Sifa s’est approprié ce bâtiment en le faisant passer pour un "bien abandonné". D’ailleurs la veuve Rachidi en est morte suite à une crise. Sifa a-t-elle payé des taxes à l’Etat? Quel en est le montant?
L’interlocuteur de poursuivre qu’au poste frontalier de Kasumbalesa, c’est devenu un secret de Polichinelle de révéler que la "mère" du chef de l’Etat se sert des éléments de la garde présidentielle pour "faire dédouaner", en son nom", diverses marchandises destinées aux commerçants de la place. En contrepartie, elle perçoit des "commissions".
Un autre correspondant d’enchaîner : "Zoé Kabila s’est approprié la villa de Dominique Sakombi à Ma Campagne. A-t-il payé des taxes? Il s’est arrogé le monopole des "imprimés de valeur". Il s’est approprié une partie de la concession de l’Athenée de la Gombe où il a installé un centre sportif. Dans la même concession appartenant au domaine public, il a bâti un restaurant pour VIP dénommé "O’café". Où a-t-il trouvé l’argent?"
L’homme ne s’arrête pas là : "Parlons de Jaynet. Elle a construit un grand immeuble composé de magasins, de bureaux et des appartements sur l’avenue du 24 novembre tout près de l’Institut supérieur de commerce. Paie-t-elle les taxes dues à l’Etat? Pourrait-elle apporter la preuve?".
Notre correspondant de concluant en rapellant le cas de "Joseph Kabila" qui a été crédité de la rondelette somme de "15 milliards $US" par le journaliste américain Richard Miniter, dans le magazine Forbes (www.forbes.com) daté du 30 juin 2014. "Joseph Kabila a foulé le sol zaïrois, fin octobre 1996, en bottes de jardinier, martèle-t-il. Comment pourrait-on expliquer que rien qu’au Katanga, il possède quatre fermes : la Ferme Espoir, la Ferme de Kundelungu, la Ferme de Kashamata et celle de Kimono?"
A en croire ce dernier interlocuteur, les quatre fermes présidentielles au Katanga sont exonérées de "toutes taxes". Il en serait de même des intrants agricoles, des machines etc. D’autre part, les vaches installées au Parc de Kundelungu auraient été importées du Brésil au frais de la Gécamines. "D’ailleurs quel est le fonctionnaire qui oserait demander à Joseph Kabila de payer les taxes?", s’est-il interrogé.
Dans son article au vitriol, Miniter avait prévenu : "Maintenant Kabila parait décidé à se maintenir au pouvoir au-delà de 2016, en violation du prescrit constitutionnel". Et d’ajouter que l’homme tente ainsi d’instaurer une "Présidence à vie".
La même analyse est faite dans certains milieux diplomatiques occidentaux à Kinshasa. Certains diplomates redoutent que "l’option répressive" - aux conséquences imprévisibles - adoptée par "Joseph Kabila" finisse par le contraindre, à cause des abus et excès, à "devoir dégager" avant la fin de son mandat soit le 19 décembre 2016...
Baudouin Amba Wetshi
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