Revisitation des contrats miniers : le pari de Gizenga
Investi Premier ministre du tout premier gouvernement
de la 3ème République, Antoine Gizenga n’a pas attendu longtemps pour afficher
ses vraies intentions, notamment celle de tout mettre en œuvre pour la
refondation de la République démocratique du Congo. Sa première bataille est
évidemment le secteur minier dont il entend revisiter la plupart des contrats
miniers signés par l’Etat congolais depuis 1996. Déterminé à marquer son époque.
C’est sur des contrats libellés en milliards de dollars que la commission
chargée de leur revisitation devra travailler pendant trois mois. Lundi, le
ministre des Mines, Martin Kabwelulu, a donné le coup d’envoi de ses travaux.
Car, le gouvernement a conscience qu’il sera jugé finalement dans ses actes.
Il a fallu attendre plus d’un mois pour voir l’arrêté du ministre des
Mines, Martin Kabwelulu, signé le 20 avril 2007, produire ses effets. Il
institue une commission chargée de la revisitation des contrats miniers.
Les autorités congolaises vont en effet revoir 63 contrats miniers
conclus depuis 1996, année qui marque le début de la conquête du pouvoir par
Laurent Kabila, qui finança sa guerre en signant des contrats suspectés
aujourd’hui d’être léonins.
Il s’agit, pour la plupart, des contrats
passés entre des entreprises publiques ou semi-publiques et des opérateurs
privés. Les termes en sont souvent si défavorables à l’Etat congolais qu’on
soupçonne certaines autorités alors en place d’avoir accepté des pots-de-vin
pour les signer.
Selon des sources gouvernementales, 41 de ces contrats
concernent des entreprises installées au Katanga, 11 dans la province Orientale,
six au Kasaï oriental et cinq au Maniema. Les entreprises publiques
éventuellement lésées sont la Gécamines, Kisenge Manganèse, Sodimico, Okimo,
Sakima et la Miba.
LA GRANDE BATAILLE
C’est hier lundi dans le
salon rouge du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération
internationale qu’ont été officiellement ouverts les travaux de la commission de
revisitation des contrats miniers.
A cette occasion, le ministre des
Mines a indiqué que le gouvernement « donne la chance à la RDC » de « voir un
peu plus clair sur la manière dont ses ressources minières ont été cédées ou
louées aux tiers ». C’est donc, pour lui, « une question de s’autodéterminer, en
appelant nos partenaires à plus de justice et d’éthique dans les affaires ».
Y a-t-il soupçon d’irrégularités dans des contrats miniers négociés par
ses prédécesseurs ? A cette question, Martin Kabwelulu s’est montré sibyllin, se
contentant de déclarer que « là où il sera clairement établi des incohérences
sous quelques formes que ce soit, que des comptes soient demandés aux
partenaires en vue d’un rééquilibrage ».
Rééquilibrage, réajustement,
revisitation… Le gouvernement ne se lasse pas d’innover dans les termes devant
traduire ce qu’il attend de ces travaux, prévus pour durer trois mois. Et, il
n’a pas non plus ménagé les moyens.
Outre les experts nationaux recrutés
dans différents services techniques du ministère des Mines et institutions,
l’Etat congolais a fait appel à trois cabinets internationaux. Il s’agit du
sud-africain OSISA (Open society initiative for southern africa), de l’américain
Centre Carter et du suisse Rocthild.
De l’apport de cette expertise
extérieure, on peut déjà citer l’étude évocatrice réalisée par un citoyen
congolais sous la coordination du cabinet sud-africain OSISA. Elle porte sur la
révision de cinq contrats miniers mettant en exergue les entreprises Chemaf,
Kingamiambo Tailing, Tenke Fungurume, Kinross-Forrest/KCC et Global entreprise
Corporate (GCC).
Les conclusions de ces études traduisaient le désastre
du secteur minier congolais. L’auteur fondait sa conviction sur l’obligation
faite à la Gecamines – alors la plus grande société minière du pays – de «
conclure des contrats totalement déséquilibrés avec non pas des institutions bi
ou multilatérales, mais des intermédiaires pour la plupart non professionnels
avec des adresses bancaires dans des paradis fiscaux ».
AMERICAINS,
SUD-AFRICAINS ET SUISSES DANS LE JEU
Le gouvernement pense donc, avec
cette présence étrangère, donner plus de crédit aux conclusions de la
commission. Mais, n’empêche, il n’y a aucune certitude de résultat,
commente-t-on dans les milieux spécialisés. Car, le défi est énorme et le
travail à accomplir l’est également. Surtout lorsqu’on sait que cette
revisitation porte, dans un premier temps, sur plus de 60 contrats miniers
représentant en valeur des milliards de dollars.
Pis encore, les mêmes
contrats mettent l’Etat congolais en face d’importants groupes miniers
internationaux, parmi les plus en vue.
Sur la liste de Gizenga, figurent
le premier groupe minier mondial BHP Billiton, le géant de l’or sud-africain
Anglogold Ashanti, le canadien First Quantum Minerals et l’américain Phelps
Dodge, récemment racheté par son compatriote Freeport McMoRan Copper & Gold
(FCX), etc.
Ironie du sort, c’est aussi vers cette même expertise
étrangère que le gouvernement a recouru pour l’aider à « voir un peu plus clair
» dans les contrats signés depuis les années 1990.
Qu’est-ce qui
garantit alors l’impartialité de cette expertise ? Les puissantes
multinationales, qui voient leurs intérêts acquis remis en cause, vont-elles
baisser la garde face au Premier ministre congolais ? Ne pourront-elles pas
rebondir d’une manière ou d’une autre, devant par exemple des instances
judiciaires internationales pour réclamer réparation de la part du gouvernement
congolais ?
On ne peut que s’inquiéter de ce qui sortira de la boîte de
Pandore que vient d’ouvrir Antoine Gizenga.
INTERROGER LE
PASSE
Quelques années auparavant, le panel des experts des Nations unies
sur le pillage des ressources naturelles de la Rdc avait nommément désigné les
personnes impliquées dans le « bradage » du patrimoine naturel du pays. Des Ong
internationales, telles que la Niza et Global Witness, sont revenues sur cette
question.
De même, la commission parlementaire, dite commission
Lutundula, a établi clairement dans son rapport des responsabilités sur des
contrats « léonins » signés entre 1996 et 2003.
Malheureusement, la
principale difficulté réside dans le fait que tous ceux qui sont impliqués dans
ce dossier sont les mêmes qui ont porté Gizenga à la Primature.
Alors,
le patriarche du Palu est-t-il à même de les sacrifier au nom de l’intérêt
supérieur de la nation ? Là, se trouve l’énigme.
Au gouvernement, on
semble ne pas vouloir effrayer les investisseurs, en soulignant par exemple que
l’objectif est de « relever tous les vices qui entacheraient ses contrats, de
confronter la valeur déclarée à la valeur réelle ou réaliste, et de proposer les
mécanismes de correction à soumettre au gouvernement pour décision ».
Dans tous les cas, pour Antoine Gizenga - sur la base de cette première
expérience - l’objectif consiste à amener tous les partenaires extérieurs de la
RDC à « respecter l’Etat congolais (…) pour que les ressources naturelles
servent effectivement à financer le programme et axes importants de l’économie
nationale ».
Dans cette bataille, la Bolivie du président Eva Morales
fait figure d’école. L’homme a réussi à aligner de grandes multinationales
minières à sa cadence. Mais, il lui a fallu courage et ténacité. Gizenga
dispose-t-il des mêmes vertus ?
C’est cela aussi sa bataille royale,
s’il veut réellement marquer son passage à la tête du premier gouvernement de la
3ème République.
Global Witness appelle à plus de
transparence
Global Witness, ONG basée à Londres et spécialisée dans les
liens entre les conflits et l’exploitation des ressources naturelles, a appelé
dernièrement le gouvernement Gizenga à « rompre avec les anciens schémas
reposant sur des décennies de corruption et d’impunité dans le secteur minier ».
Au cours des dix dernières années, marquées par deux guerres successives
et une période de transition politique, « une part considérable de la richesse
minérale du pays a été cédée dans le cadre d’accords opaques qui ont grandement
profité aux entreprises concernées (à), des personnalités politiques et
militaires haut placées (et à d’anciens) dirigeants des forces rebelles» mais
«peu, voire pas du tout, au pays », affirmait l’ONG.
Global Witness a
relevé « avec satisfaction la décision de revisiter ces contrats », mais s’est
dit « préoccupée par la réticence apparente du gouvernement à envisager de
résilier des contrats ».
« L’argument selon lequel la résiliation de
contrats pourrait dissuader de futurs investisseurs ne devrait pas être une
excuse pour approuver sans discussion des contrats illégaux ou défavorables »,
selon Patrick Alley, directeur de l’ONG.
« Cet examen représente une
opportunité unique de mettre un terme au pillage systématique des ressources du
Congo et de créer un précédent pour des pratiques d’investissement responsables
et conformes aux réglementations et normes nationales et internationales »,
a-t-il souligné. L’ONG a aussi plaidé pour la transparence totale de la revue et
la mise en place d’un « organe de surveillance » indépendant composé d’experts
internationaux et de représentants de la société civile.