Agriculture : mettre fin à l'absurde

Le Congo est un pays agricole mais ne fait rien pour son agriculture. Les importateurs de nourriture sont favorisés face aux producteurs.

En faisant du ministre de l'Agriculture un ministre d'Etat, le nouveau Premier ministre congolais, Antoine Gizenga, soulignait l'importance de ce département pour le Congo. À juste titre, s'agissant d'un pays essentiellement rural, dont pourtant à peine 10 pc des terres arables sont cultivées.

A l'indépendance, en 1960, le Congo était le second producteur mondial d'huile de palme; aujourd'hui cette dernière est moins chère importée de Malaisie que produite sur place. Il cultivait d'importantes quantités de coton, sucre, thé, cacao destinés à l'exportation; pour nourrir ses populations, il produisait manioc, riz, banane plantain, maïs, arachides - assez pour pouvoir aussi en exporter.

Aujourd'hui, le lien entre ruraux et urbains s'est érodé parce que la production agricole reste généralement sur place, faute d'être transportée en ville, tandis que les urbains se nourrissent surtout de biens importés. A cela plusieurs raisons.

Aberration

D'abord une aberration, notée par tous les spécialistes. Le Congo est un des seuls pays au monde où l'on taxe les intrants agricoles nécessaires au paysan pour produire, alors que de nombreux produits alimentaires concurrents, dans la pratique, ne le sont pas, le lobby des importateurs parvenant généralement à obtenir des exonérations - formelles ou informelles. Les produits importés font donc une concurrence déloyale à la production nationale. Il faut, au minimum, un même niveau de protection pour les deux secteurs, dit-on dans les milieux économiques, et, si l'on veut favoriser l'agriculture, faire carrément le contraire de ce qui se fait aujourd'hui.

Barrages illégaux

A cette aberration s'ajoutent les "barrières" (barrages) placées par des militaires et policiers le long des chemins empruntés par les produits agricoles en route vers la ville, afin de prélever leur part - puisqu'ils ne sont guère payés. Le prix du poisson, entre le lieu de pêche et le client urbain est ainsi multiplié par... 20 !

Enfin, le manque de voies de communication assène le coup de grâce à la production agricole. Après avoir vu quelques récoltes pourrir sur place faute de moyens de transport pour les évacuer vers des marchés et des centres urbains, le paysan cesse de cultiver plus que ce qui est nécessaire à sa propre subsistance.

Le nouveau ministre de l'Agriculture, Nzanga Mobutu, fils de l'ancien chef d'Etat, arrivera-t-il à mettre en oeuvre une véritable politique agricole, pensée pour rétablir le lien entre producteur rural et consommateur urbain - comme dans un pays normal ?

Sauf sous Kengo

Certains spécialistes soulignent que le Congo n'a jamais bénéficié de telles politiques, "à l'exception de la période 1984-1986, sous le Premier commissaire d'Etat Kengo. Remarquablement, cette période marque un palier visible sur la courbe de croissance de la population de Kinshasa - autrement toujours en hausse. On peut y voir la preuve qu'une véritable politique agricole est capable de mettre fin à l'exode rural", dit un spécialiste.

Avant la guerre (qui crée une insécurité poussant les ruraux vers les villes), l'exode rural était lié largement à la disparition des écoles et à celle des hôpitaux en brousse : la première efface tout espoir d'un avenir meilleur pour les enfants; la seconde vulnérabilise les familles paysannes en mettant la survie des leurs à la merci d'une simple crise de malaria. Au Congo, 66 pc des décès enregistrés sont dus à la malaria, contre 52 pc en 2000, affirme un récent rapport du ministère congolais de la Santé.