Impérieuse nécessité pour le Congo de mettre fin à la tutelle, initiatives opportunistes
A
la fin de sa mission au Congo, Aldo Ajello se confiant à Marie-France
Cros affirmait ce qui suit : "L'avenir du Congo? C'est un pays qui a un
potentiel richissime et un gouvernement élu démocratiquement. Ce qui ne
veut rien dire parce que la démocratie ne se réduit pas aux élections;
une éducation démocratique doit se faire, avec assez de souplesse pour
ne pas donner l'impression que le pays est sous tutelle, ce qu'il a été
trop longtemps. Il doit apprendre à s'autogérer de façon démocratique.
Si on les aide sérieusement, on a de grandes chances de réussir et cela
entraînera la stabilisation de l'Afrique centrale." (M.F. CROS, Aldo
Ajello, le diplomate qui ne mâche pas ses mots. Entretien, dans La
Libre Belgique du mardi 21 février 2007, p.25). Etant devenu sceptique
vis-à-vis de "doctrines des bonnes intentions" et à la lecture de
l'actualité congolaise, nous doutons que l'Europe ait comme visée
politique africaine "la stabilisation de l'Afrique centrale", ce
réservoir des matières premières stratégiques. L'entraînement dans la
politique économique de l'économie mondialisée de la prédation a
remplacé, dans le chef de ses élites, le partage des valeurs douces de
la paix, de la justice réparatrice des crimes économiques et
redistributive et de la gestion démocratique du pouvoir politique. Cet
entraînement-là prend du temps. Voilà qui justifie la permanence de la
tutelle et l'effritement des chances de voir l'Afrique centrale
s'autogérer comme l'entendraient ses dignes fils et filles. Le choix
portés sur des "pantins" et autres "collabos" financés à coup des
millions d'euros était tout sauf une option pour une Afrique centrale
apaisée et stable.
Mais, cela étant, il n'est pas mal que les dignes filles et fils du
Congo se posent, de manière permanente la question de savoir jusqu'à
quand le Congo sera-t-il sous tutelle. Nous estimons que la tutelle
durera jusqu'au jour où un nombre important de ses filles et fils sera
capable de comprendre, d'expliquer et de maîtriser les politiques
géostratégiques et "réalistes" des pays qu'ils perçoivent, aujourd'hui
encore, comme étant les grandes puissances du monde. Jusqu'au jour où
leurs choix des modèles alternatifs les conduiront à créer des
synergies productrices des moyens de leur autonomie réelle (et non
potentielle). Jusqu'au jour où "les think thanks "congolais dignes de
ce nom mèneront des luttes sans complaisance afin qu'ils comptent dans
la conception, la gestion et la prospection de la marche commune. Les
initiatives opportunistes peuvent être efficaces. Mais comme peut
l'être un feu de paille.
Il ne se passe plus un seul jour sans que certains médias congolais
reviennent sur les accords que le Congo est en train de signer avec la
Chine. A travers ces médias, plusieurs compatriotes journalistes et
analystes politiques sont convaincus que le Congo est libre de signer
les accords bilatéraux et multilatéraux avec les partenaires de son
choix. Ils sont aussi convaincus que la coopération économique avec
"nos éternels bailleurs de fonds" n'a pas du tout contribué à notre
développement. Et une analyse froide de l'histoire économique de notre
pays leur donne raison. Néanmoins, les convictions de ces compatriotes
ne semblent pas être fondées sur des analyses conséquentes des options
politiques de nos gouvernants actuels. Ceux et celles d'entre nous qui
savent encore prendre le temps de lire peuvent parcourir le programme
de gouvernement Gizenga. Ils se rendront compte que sous l'instigation
du FMI et de la Banque mondiale, ce gouvernement avait pris la ferme
option de s'endetter lourdement en comptant sur nos richesses du sol et
du sous-sol pour rembourser ses dettes. C'est d'un.
De deux, les accords multilatéraux que les gouvernants actuels signent
ne sont connus que d'un petit cercle des oligarques prédateurs. Le
sénateur Vincent de Paul Lunda-Bululu et le député Kiakwama kia Kiziki
l'ont magistralement démontré (à travers leurs interventions au Sénat
et au Parlement) sans que "les couvreurs" (majoritaires) de la
navigation à vue du pouvoir en place au Congo n'arrivent à les
contredire. Les sceptiques peuvent parcourir les médias congolais de
ces trois ou quatre derniers mois et exhiber un ou deux textes sérieux
d'un député ou d'un sénateur de la majorité au pouvoir battant en
brèche les arguments-massues du "petit reste" congolais contre
l'amateurisme et l'incompétence des gouvernants actuels du pays. En
bonnes caisses de résonnance, les "couvreurs majoritaires" de
l'Assemblée nationale se tirent d'affaires en comptant sur le nombre.
Dieu merci, lors du dernier vote de la motion de méfiance contre le
ministre près la présidence impliqué dans l'affaire de l'Antonov 26,
"les mangeurs" ont connu des défections dans leurs rangs au profit du
"petit reste".
De plus en plus, "la démocratie du marché" concoctée dans les bureaux
climatisés de Washington, Paris, Londres et Bruxelles marque le pas.
Que le Congo appelle la Chine au secours est un signe qui ne trompe
pas! Que "les maîtres du monde" se déplacent jusqu'à Goma (le dimanche
14 et le lundi 15 octobre 2007) pour remettre leur "filleul" sur le
chemin de leur schéma de la mise sous tutelle permanente de notre pays
est un signe qui donne à penser. Comment ces tireurs de ficelle
convaincus que le Congo dispose d'"une armée indisciplinée", "mal payée
et mal outillée" peuvent-ils appeler au cessez-le-feu au moment où
cette armée semble gagner du terrain à l'Est de notre pays? A moins que
la guerre d'agression que nous subissons à l'Est de notre pays soit
purement et simplement une manœuvre de diversion ne profitant qu'aux
réseaux d'élite prédateurs ayant envahi notre pays, il ne serait pas
inutile de relever une similitude entre ce qui se passe à l'Est de
notre pays depuis ce lundi 15 octobre 2007 et ce qui s'est passé au
Bas-Congo en 1998. Poursuivant sa coopération militaire avec les deux
Etats agresseurs du Congo, Washington était intervenu pour les tirer du
bourbier congolais. "En effet, écrit Marie-France Cros, Les Etats-Unis
interviendront pour que les troupes rwandaises et ougandaises
encerclées au Bas-Congo par l'armée angolaise, qui a volé au secours du
régime de Kabila, puissent être exfiltrées sans coup férir." (M.-F.
CROS et F. MISSER, Géopolitique du Congo (RDC), Bruxelles, Complexe,
2006, 114). A en croire Marie-France Cros, "il a fallu l'évidence de
l'enlisement de la guerre (…) pour que les Etats-Unis et la France
emboîtent le pas à la Belgique et à d'autres pays non belligérants (…)
afin de faciliter les accords signés à Lusaka en juillet 1999, qui
tarderont quatre ans avant d'être mis en vigueur." (Ibidem)
Le même scénario vient se reproduire à l'Est du pays où les
ambassadeurs occidentaux sont allés à la rencontre de Joseph Kabila.
Les mêmes pays auraient volé au secours de Nkunda et du Rwanda tout en
affirmant leur soutien (?) aux gouvernants élus du Congo! Est-ce pour
la cause de la paix?
Relisons l'histoire. En dehors de la publicité que "les intellectuels
respectables" font sur" les missions civilisatrices" des Etats-Unis, de
la France, de la Grande-Bretagne et de la Belgique, une histoire écrite
à partir des appauvris de notre planète n'a pas quatre exemples des
pays libérés du joug hégémonique de l'impérialisme occidental par ces
pays.
"Le petit reste occidental" et la lutte contre "la voyoucratie"
Ceux et celles d'entre nous qui ont encore la possibilité de lire
peuvent s'exercer à étudier les livres ci-après : Europe, la trahison
des élites (de Raoul Marc Jennar), Nous, peuples d'Europe (de Susan
George), Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent et
L'empire de la honte (de Jean Ziegler), Le nouveau désordre mondial (de
Tzvetan Todorov), Les Etats manqués, Dominer le monde ou sauver la
planète et La doctrine des bonnes intentions de (Noam Chomsky), Un
autre monde contre la fanatisme du marché (de Joseph E. Stiglitz), La
force qui nous manque (d'Eva Joly), Bush le cyclone (de Michel Collon),
etc. Ces livres écrits par "le petit reste" occidental révèlent une
continuité dans la politique extérieure pratiquées par les élites
politiques occidentales, à quelques exceptions près. Noam Chomsky,
étudiant de plus près l'histoire des pays occidentaux impliqués dans
"les pressions faites à l'Etat (manqué) congolais" pour obtenir un
cessez-le-feu à l'Est de notre pays, les classe dans la catégorie des
"Etats voyous". Il écrit ce qui suit : "Si nous définissons "Etat
voyou" en fonction d'un principe moral -Etat qui viole le droit
international, commet des agressions, des atrocités, viole les droits
de l'homme…-, il est certain que les Etats-Unis se qualifient pour le
titre, comme on pouvait l'attendre de l'Etat le plus puissant du monde,
comme la Grande-Bretagne s'est qualifiée, comme la France s'est
qualifiée (…). La France menait une "mission civilisatrice" quand son
ministre de la Guerre disait qu'il fallait exterminer les indigènes en
Algérie." (N. CHOMSKY, La doctrine des bonnes intentions. Entretiens
avec David Barsamian, Paris, Fayard, 2006, 71-72). Se retrouvant dans
sa Norvège natale, Eva Joly écrit : " Loin de Paris, j'ai la
confirmation que l'élite française n'est qu'un club qui ne fait plus
évoluer la monde." (E. JOLY, La force qui nous manque, Paris Arènes,
2007, p.14). Plus loin, elle note : "La France, au nom de la séparation
des pouvoirs, ne dispose d'aucun mécanisme officiel pour interrompre
une enquête, la menace et les intimidations s'épanouissent donc au cœur
de l'Etat. En Grande-Bretagne, la voix arrogante du Premier ministre
(Blair) suffit à étouffer une affaire sensible. Toutes deux usent et
abusent de l'intérêt supérieur de l'Etat, éternel masque des trafics
d'argent." (Ibidem, p.26).
Tous ces livres révèlent "la trahison des élites" politiques et
intellectuelles occidentales à l'endroit de leurs propres peuples et de
ceux des pays émergents. Elles ne sont qu'au service du néo-libéralisme
pur et dur. (A quelques exceptions près, bien sûr!) Est-ce un hasard
qu'aujourd'hui -jour de la lutte contre la misère-, la télévision Belge
nous informe qu'un Belge sur sept vit en dessous du seuil de la
pauvreté? La mondialisation marchande a assujetti les élites politiques
et intellectuelles occidentales, les mettant au service des
multinationales et des autres cosmocrates du Nord. "La démocratie du
marché" qu'ils théorisent est mise dans le coup.
De plus en plus, au Nord, les peuples vivent dans un obscurantisme
avoisinant celui dans lequel vivent la plupart des peuples du Sud. La
télévision mise au service du consumérisme travaille, au quotidien, au
décervelage.
Au Sud, les pays ayant pris conscience du rôle nocif des élites
occidentales ont rompu les ponts. L'Amérique Latine en tête. Au Nord,
la Norvège et la Suède deviennent de plus en plus des rares exceptions
des pays où les gouvernements à l'écoute de leurs peuples. Et pendant
ce temps, le Congo pérorant sur ses richesses fabuleuses ne cesse de se
laisser guider par les élites sans grande crédibilité au Nord. Est-ce
pour des raisons de "réalisme politique"? Pour des raisons stratégiques
ou par pure ignorance de la nouvelle géopolitique du monde? Il veut
aller prendre de l'argent en Chine tout en se laissant conseiller par
les élites occidentales auxquelles la Chine fait peur. Pris entre
l'enclume et le marteau, il n'arrive pas à voter son budget 2008. Et
nos médias, percevant très mal ce choix amateuriste ne cessent de
clamer à qui voudrait les entendre : "Le Congo, en tant qu'Etat
souverain, peut signer des accords avec qui il veut!". Est-on souverain
quand on ne crée pas les moyens de son autonomie? De son autonomie de
pensée et d'action? Un pays payant sa dette extérieure avec une bonne
partie des prêts d'argent qui lui sont consentis par ses "conseillers
économiques et bailleurs de fonds" peut-il avoir la latitude d'aller où
il veut pour contracter les dettes qu'il paiera avec cet argent
d'autrui?
De deux choses l'une, ou le Congo fait le choix de la Chine ou il reste
esclave des IFI occidentales. Dans le premier cas, il sera obligé de
rompre avec les politiques (économiques) de domination que soutiennent
les IFI à travers "l'initiative des pays pauvres très endettés". Il
doit rompre avec la tutelle occidentale. Or sa politique actuelle est
loin de réaliser cette rupture. Les dernières pressions exercées (et
acceptées par) sur Joseph Kabila en disent long. Dans ce cas, le choix
de la Chine ne se limiterait pas à avoir un partenaire économique
prêtant sans conditionnalité. Il irait jusqu'à la mise sur pied des
moyens de sa propre autonomie.
Dans le deuxième cas, le choix "des Etats voyous" comme guides ne peut
que mener à "la voyoucratie". Il semble que notre pays en est encore
là. Sinon qui expliquerait la magie par laquelle un monsieur (Nkunda)
sur qui pèse un mandat d'arrêt international soit considéré au niveau
national et international comme un partenaire dialogual dont dépend la
paix à l'Est du pays? Qui expliquerait la mise entre parenthèse du
droit international au nom de la paix?
En effet, dans un monde gouverné par les affairistes et "leurs petites
mains", la mise entre parenthèse du droit international participe de
l'ouverture dudit monde à l'économie mondiale de la prédation. Celle-ci
n'a besoin de lois que dans la mesure où elles permettent aux
affairistes de faire un peu plus de profit.
Dans le cas du choix de la Chine par exemple, combien des Congolais
sont au courant des quantités des matières premières que ce pays
prendra chez nous en échange de ses milliards? Où en a-t-on débattu? Le
Congo est-il la propriété privée des "couvreurs-négociateurs" de tous
nos contrats à nos dépens qui sont aujourd'hui aux commandes de notre
"Etat-manqué". Non. Et puis, au vu des contrats et accords déjà signés,
quelle garantie avons-nous que cette fois sera la bonne? Il ne suffit
pas d'aller en Chine pour faire du chantage à l'Occident comme du temps
de Mobutu. Ce temps est révolu. Encore faudrait-il que nous soyons
capables d'établir la différence substantielle existant entre le
capitalisme chinois et le capitalisme occidental! Tous les deux étant
logés à la même enseigne, un choix non pensé de la Chine peut être
nuisible pour nous et (surtout) pour les générations futures. Le Congo
"reçu" dont être cédé aux générations futures en bonne et due forme.
N'en déplaise aux opportunistes nombrilistes, partisans de "la
manducratie immédiatiste". A "ceux et celles qui veulent manger, ici et
maintenant, avant qu'ils ne puissent mourir. Et cela, à tous les
râteliers."
Le Congo rompra avec la tutelle quand il ne sera plus dirigé par des
marionnettes téléguidées à partir des bureaux climatisés de Washington,
Paris, Londres et Bruxelles; mais adulées par les médias "coupagistes"
et "les média-mensonges" comme étant les chefs du monde et les maîtres
de l'histoire. Le Sud comptant des exemples de cette rupture fait
rêver. Il semble que l'essentiel de notre lutte devrait se mener à ce
niveau de rupture. Elle peut réussir si, déjà aujourd'hui, les
résistants congolais initient des alliances avec le Sud qui gagne et
"le petit reste du Nord" et les font fructifier.
Source: Congolité