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LOSAKO
6 janvier 2009

“Un marché commun Est-africain pour réconcilier la RD Congo et le Rwanda”

cohenLa tribune publiée, sous la plume du républicain Herman Cohen, dans «The New York Times», reprise dans la rubrique «Kiosque» de «Jeune Afrique» (voir éditions n°2502-2503), continue à susciter des commentaires dans les milieux congolais. L’ancien sous-secrétaire d’Etat US aux Affaires africaines propose l’érection d’un «Marché commun en Afrique de l’Est» afin de «mettre fin à la guerre» dans la sous-région des Grands Lacs. Des analystes congolais, eux, estiment qu’il est prématuré de bâtir un tel «Marché» qui ne pourrait profiter qu’au Rwanda tant que la RD Congo n’a pas encore rétabli son autorité sur l’ensemble de son territoire. Sans oublier, le «déficit de confiance entre les peuples» généré par les années de guerre.

Analyse

Un brin fatalistes, habitués à se faire dicter leur comportement par le «monde extérieur», nombreux sont les Congolais qui ont été particulièrement émus par la tribune libre rédigée par l’ancien sous-secrétaire d’Etat Herman Cohen, devenu depuis 1994 un lobbyiste. Au lieu de réagir «pour» ou «contre» l’argumentaire de l’auteur, certains ont cru que la puissante Amérique - à travers Cohen – avait déjà officié la «messe» et qu’il ne restait plus qu’à dire : «Alléluia, Amen !». D’autres, y ont vu une «nouvelle conspiration» contre la RD Congo et sa population. C’est à croire que le point de vue des principaux intéressés, c’est-à-dire les Congolais, ne compte pas. Quelle attitude défaitiste et dépendante ? Sans tomber dans la minimalisation, en vérité, le lobbyiste Cohen n’a pas inventé la poudre. «Lobby» est un mot anglo-saxon qui signifie «couloir». Un lobbyiste peut être défini comme étant un «consultant» qui arpente, chaque jour, les couloirs des centres de décision (gouvernement, parlement, patronat etc.) afin d’amener les décideurs à agir dans un sens ou l’autre. Il s’agit donc d’un individu qui travaille sur base contractuelle pour des tiers. Ces tiers peuvent êtres des personnes physiques ou morales.

carte_rdc_rwanda«Marché commun»

Qu’a dit Cohen ? Il a commencé par faire un état de lieu qui se résume à quelques constats et une proposition. Essayons d’expliciter sa démarche. Premier constat : depuis le déclenchement de la guerre dite de «libération», en 1996, qui a porté Laurent-Désiré Kabila au pouvoir suprême, le 17 mai 1997, grâce aux armées rwandaise et ougandaises, le Rwanda a «intégré» les provinces congolaises du Nord et du Sud Kivu dans son «économie». Pour la petite histoire, ces deux entités ont été «administrées», de 1998 à 2003, successivement par l’AFDL et le RCD, deux mouvements «rebelles» pro-rwandais. Jusqu’en 2006, les deux Kivu ont demeuré sous la férule du RCD. Le pouvoir rwandais avait, d’ailleurs, créé un «Desk Congo» chargé de gérer les ressources provenant de cette occupation. Deuxième constat : au lendemain de l’élection présidentielle de 2006, le «président élu» Joseph Kabila «s’est à nouveau intéressé» à ces régions. Au grand dam du régime de Kigali. Troisième constat : c’est ici que Laurent Nkunda apparaît comme étant le défenseur des membres de sa communauté. En réalité, estime Cohen, le leader du CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) a pour mission d’empêcher le gouvernement de Kinshasa de «rétablir son autorité» sur cette partie du pays. Et que les forces nkundistes sont armées et financées par le Rwanda de Paul Kagame. Quatrième et dernier constat : le rétablissement de l’imperium de Kinshasa au Nord et Sud Kivu équivaudrait pour le régime rwandais à «renoncer» à des «ressources» qui représentent une bonne part de son «produit intérieur brut». Que faire ? C’est la proposition. Pour Cohen, il s’agit de prendre en compte la «dimension économique» du conflit. Aussi, propose-t-il à la future Administration Obama de désigner un «négociateur spécial» - lui-même ? - chargé de proposer «un projet de marché commun» incluant six pays de la sous-région dite des Grands Lacs. A savoir : le Burundi, la RD Congo (l’Est), le Kenya, l’Ouganda, Rwanda et la Tanzanie. «Cet accord, argumente-t-il, autoriserait la libre circulation des personnes et des biens et garantirait aux entreprises rwandaises l’accès aux ressources minières et aux forêts congolaises. Les produits fabriqués continueraient d’être exportés via le Rwanda». Et d’ajouter : «En outre, la libre circulation des populations viderait les camps de réfugiés et permettrait à des pays à forte densité de population comme le Rwanda et le Burundi de fournir de la main d’œuvre à la RDC et à la Tanzanie.» La conclusion de l’ancien sous-secrétaire d’Etat US est tranchante : «Si un tel marché commun était instauré, le Rwanda et la RD Congo n’auraient plus besoin de se faire la guerre.» Vraiment ?

Homme d’Etat ou lobbyiste ?

Il importe d’ouvrir une parenthèse pour rappeler que le républicain Herman Cohen a dirigé les «Affaires africaines» au département d’Etat de 1989 à 1993, c’est-à-dire pendant et après la Guerre froide. Après la chute du Mur de Berlin (fin 1989) suivie de l’implosion du Bloc soviétique, l’Amérique s’est empressée de lâcher tous ex-fidèles alliés africains, accusés d’être «démocratiquement incompatibles». C’est le cas notamment de Mobutu Sese Seko. C’est justement Cohen qui a eu la charge d’appliquer ce réajustement diplomatique de 1990 à 1993. Redevenu «simple citoyen», l’homme sera aperçu, à maintes reprises, dans le sillage du «dictateur zaïrois» en 1995. Cette fois, il avait une nouvelle casquette : celle de lobbyiste. En compagnie de son associé, Max-Olivier Cahen, Cohen aurait proposé au «Grand Léopard» de lui confier la charge de «promouvoir son image» aux Etats-Unis où trônait le démocrate Bill Clinton. Les mauvaises langues allèguent que le maréchal aurait, pour ce faire, déboursé pas moins d’un million de dollars US. A voir la suite des événements, on peut gager que l’efficacité n’était pas au rendez-vous. Fermons la parenthèse. Question : la tribune publiée dans «The New Times» reflète-t-elle les opinions de Herman Cohen, l’homme d’Etat ou celles du lobbyiste Cohen Herman ? Si par aventure, c’est le lobbyiste qui a écrit, une question subsidiaire ne serait pas sans intérêt : Quel est le groupe d’intérêt qui a «commandé» et financé cette «étude»? Reste que les réflexions de «Herman» ont le mérite de relancer un épineux débat burundo-congolo-rwandais : Pour ou contre la relance de la CEPGL (Communauté économique des pays de Grands Lacs) ?

photo_1229105513747_3_0La guerre dite des «Banyamulenge»

La CEPGL a été créée le 20 septembre 1976 à l’initiative des chefs d’Etat d’alors en l’occurrence le Burundais Jean-Baptiste Bagaza, le Rwandais Juvénal Habyarimana et le Zaïrois Mobutu Sese Seko. Assurer la sécurité des Etats membres et de leurs populations, promouvoir et intensifier les échanges commerciaux et la libre circulation des personnes et des biens, constituaient les principaux objectifs fixés par les «pères fondateurs». A titre d’exemple, en octobre 1990, un bataillon des Forces armées zaïroises, commandé par le général Donatien Mahele Lieko, a été envoyé au Rwanda pour stopper la progression des rebelles rwandais du FPR (Front patriotique rwandais). Cette intervention n’a jamais été digérée par les nouveaux maîtres de Kigali. La libre circulation des personnes et des biens, elle, n’a jamais connu de début de matérialisation. Pour cause, les Zaïrois – grands ou petits - ont toujours redouté un important «flux migratoire» en provenance du Burundi et du Rwanda. En octobre 1996, le Zaïre de Mobutu a accusé les armées burundaise et rwandaises d’avoir attaqué son territoire. Cette agression, camouflée en «rébellion interne» dite des « Banyamulenge, a fait voler en éclat les objectifs majeurs de cette «Communauté». A savoir : la sécurité mutuelle et le bon voisinage. Les Rwandais et les Burundais rétorquent que le Zaïre hébergeait sur son territoire leurs opposants armés. Successeur de Mobutu, Laurent-Désiré Kabila a eu à articuler les mêmes griefs en 1998 après la rupture avec ses ex-parrains rwandais et ougandais. Les autorités rwandaises ont apporté leur soutien au nouveau mouvement rebelle dénommé RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie).

Et voici Louis Michel

En 1999, le gouvernement de Kinshasa, le RCD et le MLC signaient les accords de cessez-le -feu à Lusaka, en Zambie. En janvier 2001, Joseph succède à Laurent-Désiré Kabila. En décembre 2002, le dialogue intercongolais jette le principe de l’organisation du période de transition suivie par des élections générales. Si officiellement les relations entre le Congo et le Rwanda sont «gelées», le nouveau chef de l’Etat congolais entretenait des contacts téléphoniques notamment avec son ancien «patron», le général James Kabarebe. A maintes reprises l’hebdomadaire «Jeune Afrique» a laissé entendre que Kabila et Kagame se parlaient régulièrement au téléphone. Dès le lendemain de la mise en place des institutions de transition en RD Congo, après juin 2003, Louis Michel, alors ministre belge des Affaires étrangères, prenait l’initiative de réunir, au palais d’Egmont à Bruxelles, ses homologues burundais, congolais et rwandais des Affaires étrangères afin de jeter les bases de la réactivation de cette organisation internationale. Avec l’appui de l’Union européenne. C’était le 12 juillet 2004. Terence Sinunguruza, Antoine Ghonda Mangalibi et Charles Murigande étaient là. La «communauté internationale» était représentée à cette réunion par le Sénégalais Ibrahima Fall, envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU pour les Grands Lacs, et Mme Van Ardenne, ministre de la Coopération des Pays-Bas (la présidence de l’UE était assurée par les Pays-Bas). Les participants ont pris, à cette occasion, l’engagement de relancer la CEPGL. Une commission tripartite d’évaluation et de relance a même été constituée.

rdc_matieres_premieres200Une meilleure perspective économique

Pour le ministre Michel, la CEPGL offre aux populations de la sous-région «une meilleure perspective économique et sociale que celle d’aujourd’hui». Et ce, dans la mesure où les trois pays auront une prospérité à partager. De même, la CEPGL permet une reprise de contacts réguliers au niveau ministériel. Des contacts pouvant entraîner un retour de la confiance mutuelle. «Nous ne sommes pas des naïfs», faisait-il remarquer avant d’ajouter: «Le tout est de savoir s’il faut attendre le bonheur parfait pour que la CEPGL reprenne ses activités». Abondant dans le même sens, le ministre Murigande a eu ces mots : «Je crois que l’on exagère l’ampleur du ressentiment entre Rwandais et Congolais. Il y a des milliers des Congolais qui vivent au Rwanda sans heurts. Si le leadership s’engageait à faire des actions positives la population suivra ». Entre-temps Un Burundais sera désigné en qualité de secrétaire général de la Communauté. Kinshasa n’a pas encore nommé ses représentants. Comme pour mettre le gouvernement congolais devant le fait accompli, les autorités de Kigali décident de nommer un nouvel ambassadeur à Kinshasa. Le nouveau diplomate s’appelle Antoine Juru Munyakazi. Selon des sources, Munyakazi serait né et grandi au Congo. Son épouse serait native du Bas-Congo. Se sentant «piégés», les responsables diplomatiques congolais ont rechigné de donner l’agrément. Dans une interview au magazine " Jeune Afrique/L’Intelligent ", le président Kagame n’a pas manqué de souligner qu’il gardait sa main tendue vers son homologue congolais. Réagissant via le même canal, Joseph a estimé qu’une " réconciliation précipitée entre les deux pays serait mal vue par la population ". Le 22 avril 2008, une nouvelle initiative belge voit le jour. Le Vicomte Etienne Davignon, invite à Bruxelles les présidents des Parlements des pays membres de la CEPGL à une réunion de concertation au palais d’Egmont à Bruxelles. Thème : «La coopération interparlementaire dans la Région des Grands Lacs : défis et enjeux pour la paix et le développement». Les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale du Burundi, de la République Démocratique du Congo et du Rwanda sont là. Aucune avancée concrète. C’est ici que les analystes congolais interviennent.

Un projet prématuré

Dans un entretien avec Congoindependant.com, le juriste congolais Frédéric Boyenga Bofala de relever que «le Congo doit d’abord retrouver toute sa stabilité avant de participer à la relance de la CEPGL». Pour lui, «il y a beaucoup de contentieux internes. Le Congo n’est pas encore en état de signer de véritables accords internationaux. (…). Je constate que l’Union Européenne se repose beaucoup sur l’expertise belge en matière congolaise. Je ne peux m’empêcher de relever que l’action de certains hommes politiques belges n’est pas de nature à apporter des solutions durables à la crise congolaise.» Dans une tribune publiée dans nos colonnes, Jean-Claude Ndjakanyi, avocat au barreau de Bruxelles, d’estimer que l’initiative du Vicomte Davignon n’a pas pris «la mesure des antagonismes, des frustrations et des haines engendrées par les conflits armés.» Et d’ajouter : «Les groupes armés qui pullulent actuellement à l’Est du Congo sont entretenus par les pays voisins rendant la situation sécuritaire très précaire au point de ne pas susciter l’adhésion populaire à une telle initiative. Nous pensons qu’il faut préalablement une pédagogie de réconciliation qui pourra restaurer la concorde et la paix dans la région. Les gens qui ne se parlent pas (ou plus) dans la sincérité ne fondent pas une association.» Natif du Kivu, Tonton Zalughura estime dans une tribune que la remise en route de la CEPGL est un «projet prématuré». A tort ou à raison, la redynamisation de la CEPGL ou la mise sur pied d’un «Marché commun de l’Afrique de l’Est» est loin de susciter l’enthousiasme dans les milieux congolais. Pour une certaine opinion congolaise l’application à la lettre de la «recette» émanant de Cohen reviendrait à faire la paix uniquement au mieux des intérêts économiques du Rwanda. Jusqu’ici, un seul homme politique de premier plan a pris ouvertement position en faveur de la relance de la CEPGL. Il s’agit de l’actuel président de l’Assemblée nationale, le PPRD Vital Kamerhe, dans l’interview accordée à l’hebdomadaire «Jeune Afrique» édition n°2.500 : «(…), il faut relancer la Communauté économique des pays des Grands Lacs». (…), il s’agit de donner au voisin rwandais un espace économique «où mieux respirer». Une manière de dire qu’on ne peut faire la paix qu’avec son ennemi.

B. Amba Wetshi

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