Le leader de l'UDPS s'apprête à parler: Des questions à Tshisekedi... Parler de quoi ? Pourquoi ? Et après ?
De bonne source, nous apprenons que le président national de l'Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), Etienne Tshisekedi wa Mulumba, devrait s'exprimer dans les jours sinon les heures à venir. La date exacte de cet événement n'est pas encore connue, moins encore les modalités de cet exercice : une adresse solennelle ou une interview à la presse.
Sur la formule, selon les indications en notre possession, le choix devrait porter sur la première option dans la mesure où, assure-t-on, elle conférerait à l'événement la solennité et la gravité requises. Quant à la date, si nombre de " combattants " de l'UDPS poussaient pour que leur leader sorte de son mutisme à l'occasion de sa fête anniversaire qui tombe ce 14 décembre, la majorité se serait en revanche déjà faite à l'idée de laisser au président national de l'Udps aussi bien le temps de la réflexion que de la consultation des repousser l'échéance, en principe, à la cérémonie d'échange de vœux de la fin de cette année ou du début de 2007.
Etienne Tshisekedi, selon ce qu'il est permis d'en savoir à ce stade, devrait faire son propre bilan du processus électoral qui a culminé avec l'organisation de la présidentielle et la prestation de serment de Joseph Kabila Kabange, avant de fixer à l'intention de ses collaborateurs et de ses partisans une nouvelle feuille de route pour les prochaines étapes de l'évolution politique dans notre pays. Un processus électoral, rappelle-t-on comme un leitmotiv à l'Udps, inspiré de l'étranger et piloté par lui. Un processus caractérisé par un criant déficit d'inclusivité, boudé par au moins la moitié du corps électoral, enfin un processus devenu caricatural du fait des fraudes massives qui lui ont enlevé toute crédibilité et toute légitimité.
Il pourrait surprendre
Reste la question de fond que tous les observateurs se posent. Celle de savoir si Etienne Tshisekedi va rejeter en bloc tout ce qui a été fait ou, faisant contre mauvaise fortune bon cœur au nom de l'intérêt supérieur de la Nation, s'imposer de nouveaux sacrifices en reconnaissant que quelques avancées, certes timides, ont été réalisées et que cela constitue une base pour un nouveau départ. Dans le premier cas, le risque serait d'isoler la fille aînée de l'Opposition politique, qui en a certes déjà vu d'autres, à la fois sur l'échiquier politique national et par rapport à la Communauté internationale. Auquel cas l'Udps prendrait ainsi, par exemple, la direction opposée des Catholiques qui, tout en maintenant leurs critiques, estiment cependant que quelques pas ont été franchis et que, chaque jour qui passe, les Congolais doivent continuer, dans une pédagogie puissante et volontariste, à s'approprier le destin de leur pays. Pour les catholiques en effet, dire qu'il ne s'est rien passé serait une erreur qui précipiterait le pays dans un nouveau cycle d'instabilité et offrirait une nouvelle aubaine aux ingérences étrangères, alors que tous les observateurs sérieux admettent aujourd'hui, notamment, que c'est grâce aux pressions exercées par l'Udps depuis le 2 avril 2005 et à ses différents mémorandums adressés à la Communauté internationale que le processus électoral a connu une certaine accélération.
Par ailleurs, déclarer qu'il ne s'est rien passé du tout en termes de processus électoral mettrait l'Udps dans l'obligation de présenter hic et nunc - ce qui n'est pas toujours évident - une stratégie alternative suffisamment efficace pour évacuer, à terme, les doutes des uns et des autres sur sa capacité réelle à développer des méthodes cohérentes, pacifiques et démocratiques de conquête de pouvoir en dehors de tout processus de dialogue et donc de reconnaissance des autorités existantes. Mais aussi et surtout l'obligation de combler les attentes de ses militants de plus en plus demandeurs de résultats concrets en termes d'exercice réel du pouvoir ou d'obtention d'emplois pour ceux qui en ont perdu, pour ceux qui en attendent depuis plus de 20 ans ou que nos écoles déversent chaque année sur le marché sans se poser des questions sur leur avenir. Enfin, ce serait mettre cavalièrement un voile sur les erreurs d'appréciation et de stratégie commises par le parti dans un contexte où le rapport des forces ne lui permettait pas toujours d'adopter certaines positions sans s'être au préalable assuré des conséquences qu'elles entraîneraient pour lui-même, pour ses partisans et pour l'ensemble des Congolais.
Dans le deuxième cas, la reconnaissance des avancées engrangées dans le cadre du processus ouvrirait, en revanche, des espaces de dialogue pour rapprocher les différents pans de la société et enclencher des synergies destinées à corriger et à améliorer ce qui a déjà été fait, quand bien même il n'existe aucune garantie quant à la loyauté de ceux qui ne conçoivent la conquête du pouvoir qu'en termes de malices, d'artifices, de tricheries et de manipulations. Mais c'est aussi cela la règle du jeu : savoir déjouer les plans de l'adversaire ou le prendre à son propre jeu. L'enjeu dans tout cela, c'est évidemment la réconciliation nationale. Mais aussi et surtout la place de l'Udps dans le projet démocratique congolais et la grande ambition de la reconstruction nationale.
L'exercice s'annonce donc délicat et il est difficile, à ce stade, de savoir de quel côté va pencher la balance entre la tentation maximaliste de ceux qui pensent qu'un processus qui n'a pas bénéficié de la caution de l'Udps ne vaut rien et celle pour laquelle la vie, politique notamment, est un processus évolutif dont il faut goûter, apprécier, évaluer chaque pas, peser et soupeser chaque étape. Nul doute que pétri de sagesse et d'expérience, mais surtout de ce sens de sacrifice qui lui permet de se détacher des contingences matérielles pour jeter sur les hommes et les événements un regard froid et lucide, dénué de tout sentimentalisme, Etienne Tshisekedi pourrait, une nouvelle fois, comme en janvier 2006, rebondir, surprendre et élever le débat.
Evaluer le parti
" N'oubliez pas que c'est un animal politique authentique ", confie l'un des lieutenants du leader de l'Udps sous le sceau de l'anonymat. Ce dernier est cependant d'accord que le regard critique, impersonnel et détaché qu'on attend de lui, Etienne Tshisekedi ne devrait pas seulement le réserver à la Communauté internationale et au processus électoral lui-même, un peu comme si le parti devait s'exonérer de sa propre responsabilité et de celle de ses cadres dans les différents rendez-vous ratés par l'Udps. A la croisée des chemins, en proie à des doutes, à des actes d'indiscipline, à des prises de position à l'emporte-pièces, déficitaire dans les analyses, les anticipations et les stratégies, l'Udps devrait faire montre de courage en opérant sa propre critique et en faisant son propre bilan, celui du fonctionnement de ses structures, de leur efficacité et de leur rentabilité par rapport aux objectifs.
Autrement dit, ajoute notre cadre, on doit savoir qui a fait quoi, quand, où, pourquoi, comment et avec quels effets. Toutes ces questions, Etienne Tshisekedi doit, en reprenant vigoureusement les choses en mains après une longue léthargie, les poser avec courage en termes de nécessité politique et d'urgence historique. Les Congolais ont le droit de savoir ce qui a été fait de bon et de moins bon, en 16 ans de transition, par un parti qui a eu un peu trop tendance à négliger son renforcement pour privilégier les négociations dans lesquelles des interlocuteurs peu loyaux l'ont souvent tourné en bourrique, ridiculisé et floué.
" Un parti, c'est certes l'expression d'un idéal, d'un projet de société qu'on cherche à mettre en place. Mais en tant qu'organisation, ce sont aussi des objectifs à atteindre à court, moyen et long termes, ainsi que les moyens matériels, financiers et matériels pour atteindre ces objectifs ", confie un analyste politique. Avant de s'interroger à haute voie sur l'organisation mise en place par l'Udps et sa véritable efficacité par rapport aux enjeux politiques dans notre pays. Un parti, c'est aussi un acte de foi et une ambition collective. Mais une ambition qui n'a de sens que si l'intérêt collectif permet de sublimer les intérêts individuels. Autrement ce serait un apostolat, ce qui n'a rien à voir avec la politique et son objet.
Bref, tous les gains engrangés par l'Udps depuis le déclenchement du processus démocratique sont-ils à la mesure des ambitions de ce parti et de l'immense espérance qu'il avait su susciter dans les cœurs des Congolais ? Les hommes et les moyens mobilisés étaient-ils à la hauteur de cette espérance ? Comment expliquer que des cadres de l'Udps n'hésitent plus à faire publiquement campagne pour la concurrence, comme s'il n'existait pas de règles au sein de leur parti ? Comment expliquer cette facilité avec laquelle des cadres de l'Udps deviennent des indicateurs des services de sécurité dont ils se prêtent à la manipulation dans l'intérêt de leur propre survie ?
Sans doute une question de réalisme et méthodologie aussi. Lorsque les ventres sont vides, disait un grand africain du nom de Ousmane Sembene dans son célèbre roman " Les bouts de bois de Dieu ", les hommes désertent les chemins de la mosquée. Depuis 16 ans, l'Udps a privilégié les négociations politiques au détriment du renforcement de ses propres capacités internes face à des enjeux, des contextes et même des acteurs qui ont changé, mais au bout du compte c'est elle qui s'est toujours fait flouer pour n'avoir pas compris qu'il fallait s'adapter à la fois aux contextes, aux interlocuteurs et au rapport des forces. Depuis 16 ans, l'Udps, comme dans le comportement suicidaire du renard, refuse de se demander pourquoi tant de cadres l'ont quittée, préférant le raccourci commode de la diabolisation. Depuis 16 ans, l'Udps n'a pas encore été en mesure de dire ce que la politique de la chaise vide a rapporté en termes de gains politiques et de réalisation de son projet de société, lorsqu'elle n'a pas permis à la principale force politique du pays de jouer les premiers rôles auxquels elle était naturellement appelée, subissant même la suprême insulte de voir ses cadres et ses militants embrasser des leaders de substitution - parfois leurs bourreaux d'hier - pour combler leur besoin de changement. Faut-il continuer à s'enorgueillir d'une telle politique lorsqu'elle ne donne pas au parti ne serait-ce que les moyens d'infléchir tant soit peu des lois votées certes par des institutions scélérates mais qui ont au quotidien un impact sur la vie des Congolais ?
La politique n'est pas une religion et le pire ennemi du progrès, c'est la tendance exhaustiviste et dogmatique. La politique, disent les habitués du pouvoir, c'est un compromis au quotidien entre l'idéal et le réel. Et la bonne méthode, comme dans la recherche pour ce qui est des sciences, est le chemin le plus court, le plus pertinent, le plus efficace et le moins coûteux qui conduit à l'objectif. C'est donc le sens du réel, l'intelligence des contextes, la recherche de l'efficacité, celle-ci étant comprise comme l'aptitude à se remettre en cause par rapport au contexte, à inventer de nouveaux moyens d'action, à rechercher constamment de nouvelles voies du succès sans pour autant renoncer aux valeurs qui fondent le projet de société. C'est enfin la capacité à ne pas confondre l'accessoire - c'est-à-dire les méthodes et les stratégies - et l'essentiel qui est la conquête du pouvoir pour la réalisation du projet de société.
Questions
Tshisekedi va donc parler, mais sait-il que son frère Mandela n'a dû ce que nous appelons sa victoire que grâce à des compromis avec ceux que l'histoire considérait comme ses ennemis les plus irréductibles ? Se souvient-il encore que le pouvoir en Afrique plonge ses racines dans cet occident colonialiste qui nous exploite que nous n'aimons pas mais avec lequel il nous faut négocier dans un élan de réalisme ? Le président national de l'Udps sait-il que l'enfer ce n'est pas toujours les autres mais aussi l'incapacité des structures du parti à répondre de manière cohérente et pertinente aux sollicitations du contexte politique, à produire des analyses et des propositions réalistes en lieu et place de ces attitudes un peu trop faciles consistant à dire systématiquement non et à tirer à boulets rouges sur tout ce qui bouge dans l'espoir qu'une telle position flatterait le leader ? Partage-t-il ou non l'analyse selon laquelle la position qu'occupe aujourd'hui son parti est le résultat des choix opérés, des méthodes et stratégies qui n'ont pas changé depuis les années Mobutu jusqu'au dialogue intercongolais, en passant par le régime de l'Afdl ? Le leader de l'Udps va -t-il, sans courir le risque de remettre en cause le combat de toute sa vie, continuer à donner l'impression que la liberté si chèrement conquise par les Congolais peut être confondue avec ce libertinage devenu le dada de certains cadres de son parti, au point d'autoriser n'importe qui à dire n'importe quoi, n'importe où et à n'importe quel moment, à prendre n'importe quelle initiative sans se référer aux structures compétentes? E. Tshisekedi a-t-il compris, au regard de la récente expérience de la coalition de l'Union pour la Nation, que sans une indispensable clarification des rôles de différentes structures, dont la plus archaïque est incontestablement le Collège des Fondateurs, c'est toute la démarche de l'Udps qui risque d'être constamment tiraillée ? Qu'à cause d'un excès de cacophonie et de l'absence d'une doctrine claire, certains cadres et combattants de l'Udps avaient choisi de s'enrôler, non pas pour faire gagner leur propre parti, mais bien souvent pour être au service de ceux qui, hier encore, n'avaient trouvé aucun inconvénient, bien au contraire, à ce que l'Udps restât en dehors du processus électoral ? Le leader de l'Udps sera-t-il tenté de tirer un quelconque avantage de l'échec relatif du processus électoral pour confirmer des choix qui laissent, tout de même, son parti orphelin, ou sera-t-il également attentif à cet autre son de cloche, parmi ses collaborateurs, selon lequel le parti eut été bien inspiré d'engranger ne serait-ce que quelques sièges aux législatives, aux provinciales et aux sénatoriales ; d'arracher quelques postes de gouverneurs et vice-gouverneurs qui eussent été autant de jalons dans sa volonté de disposer des points d'ancrage, d'influencer petit à petit la politique réelle et non seulement la virtuelle qui se fait dans la rue et les bureaux ? Tshisekedi confirmera-t-il, directement ou indirectement, la rumeur qui veut qu'à l'Udps, la politique c'est que si on n'a pas tout, il faut bien se contenter de rien ? Lui a-t-on dit qu'il existe, au sein de ses propres troupes, une forte demande de dialogue, pour permettre à l'Udps de participer aux prochaines élections locales afin de préparer, par la base, une alternance de plus en plus difficile ? Dans le cas contraire, le président national de l'Udps va-t-il, sans susciter des grincements des dents et des interrogations sur la capacité d'anticipation de son parti, se contenter d'appeler ses partisans à se serrer une nouvelle fois la ceinture en attendant de voir passer les cinq années à venir ? Sinon, quelles perspectives peut-il offrir à tous ceux qui ne demandent qu'à croire et à espérer, pour maintenir chaleureux leur idéal et garder intacte leur foi ?