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LOSAKO
19 mai 2007

Les princes du mobutisme et l’avenir de notre pays

Bien au-delà du choc qu’a dû sûrement causer dans l’esprit de beaucoup de nos compatriotes l’élection de trois grand99361es figures du mobutisme à la tête du Sénat, il existe aujourd’hui un devoir de réflexion profonde sur la signification d’un tel événement dans la situation historique que nous sommes en train de vivre au sein de l’ordre sociopolitique de la troisième République.

Pour ceux d’entre les Congolaises et Congolais qui ont été témoins des modulations idéologiques, du style de gouvernance et des affres de la terreur du régime que les trois personnages aujourd’hui aux commandes de l’assemblée sénatoriale ont servi sous le règne de Mobutu Sese Seko, le retour de ces hommes à l’avant-plan de la scène politique nationale pose problème.

DES QUESTIONS QUI MERITENT NOTRE ATTENTION

Notre président du sénat, que certains médias présentent maintenant comme un homme d’expérience, de rigueur et de détermination, a été trois fois premier ministre de la deuxième République. Proche collaborateur du chef de l’Etat, il a participé à l’élaboration et à l’orchestration pratique de toutes les politiques qui ont conduit la nation à son implosion économique et à sa décomposition intérieure. L’expérience dont on peut le créditer, c’est sûrement celle d’un maître du chaos : le chaos zaïrois avec tous ses gouffres de misères et tous ses abîmes de souffrances. La rigueur dont il peut se prévaloir, c’est sans doute celle d’avoir exécuté sans réfléchir des ordres d’un despote incompétent et d’avoir appliqué sans réflexion ni états d’âme des recettes des institutions financières dénuées de toute connaissance réelle des problèmes de notre pays. La détermination qu’on peut lui reconnaître, c’est visiblement la course aveugle vers le trou noir où
l’ignoble dictateur du régime qu’il servait a précipité la nation. Dans l’esprit de beaucoup de nos compatriotes, son personnage est lié à un lamentable échec : l’effondrement du Zaïre et de toutes nos espérances. Ce splendide échec de la longue présence de l’actuel président du sénat aux affaires de l’Etat est connu de tous et toutes. De son passage à la primature, le pays n’a rien tiré de fructueux. Léon Kengo Wa Dondo est l’homme de notre mort. Il est étonnant qu’on ait oublié si vite cette mort qui hante encore notre mémoire nationale en ces matins maussades de la troisième République.

Comme son président, le premier vice-président du sénat est aussi un grand seigneur du sérail mobutiste. Il en représentait même la face séduisante et fascinante. Intelligent, brillant et vitalement solide, il donnait par sa prestance une certaine crédibilité aux orientations du Parti-Etat, dont il partageait ostensiblement l’idéologie. Le fait d’avoir mis son intelligence, sa prestance et son allant lumineux au service d’un régime inhumain et tyrannique a brouillé l’image de cet homme
auprès de notre peuple. Il a plongé le personnage dans une ambiguïté effarante et l’a transformé en une sorte de monstre froid qui n’agit plus que par calcul politicien, sans aucun engagement visible pour conduire le pays hors de la crise où l’avaient plongé l’idéologie, l’action et la folie de Mobutu. Du passage de cet homme dans les structures de l’Etat, je ne me souviens d’aucune action d’éclat au profit de nos populations face aux délires ténébreux du Maréchal-Président. Mokolo Wa Pombo est resté l’homme du sérail, complice de tout le désastre que fut pour notre pays le système mobutiste, et comptable, aujourd’hui encore, de tous les échecs du régime auquel il avait consacré son énergie de vie. Il est étonnant que cette dimension du personnage échappe aujourd’hui au pouvoir de notre mémoire, au point de n’être évoqué que sous la forme d’allusions sans enjeux.

Autant le premier vice-président de notre sénat représentait le côté « lumière » du mobutisme, autant le deuxièm
e vice-président en incarnait le côté « ténèbres ». Il conseillait directement le Chef de l’Etat et assumait les fonctions de maître ténébreux de la sécurité présidentielle. Pendant de longues années, il a été l’homme de confiance de son chef. Il était au cœur des décisions fondamentales de l’Etat et montrait son pouvoir par une richesse insultante pour un pays pillé et appauvri par ses propres élites politiques. J’imagine qu’il doit, plus que toute autre personnalité du régime de Mobutu, savoir jusqu’à quelles profondeurs de crimes l’Homme-Léopard avait élevé l’art de détruire la force de résistance et de créativité d’un peuple, notre propre peuple. Tous les massacres perpétrés par le système de la deuxième République, Losembe Batuanyele les connaît. Tous les crimes politiques et économiques par lesquels le « Roi du Zaïre » a soumis nos populations, il en maîtrise les ressorts. Les forces mystico-diaboliques qui ont servi de socle au pouvoir qu’il servait, il peut en décrire sans hésiter les multiples arcanes. Il a donc profondément vécu le mobutisme en tant que dynamique du mal en action. Il est étonnant que tout ce passé soit oublié et que la présence de cet homme au sénat s’exhibe sous le signe d’une paisible et lumineuse virginité politique.

Face au deuxième vice-président comme face au premier vice-président et au président du sénat congolais, des questions se bousculent dans mon esprit. Celles-ci, par exemple :

Comment se fait-il que ces hommes qui ont tissé la trame du système de Mobutu réapparaissent tout d’un coup à la tête du sénat et bénéficient, sans aucune forme de procès, du soutien de notre peuple, un peuple qu’ils ont pourtant littéralement martyrisé et anéanti, il n’y a pas si longtemps encore, dans le rouleau compresseur du Mouvement populaire de la révolution, Parti-Etat ? Par quel miracle ces personnages, qui n’ont jamais publiquement renié l’idéologie mob
utiste ni regretté devant toute la nation leurs errements passés, se trouvent-ils propulsés à la direction d’une institution censée incarner une certaine sagesse politique et une volonté de donner de la nation l’image de sérénité, de foi en ses atouts et de confiance en son avenir ? Que se passe-t-il pour que l’on redonne de hautes responsabilités à des personnalités qui ont dirigé le pays pendant longtemps et l’ont ruiné complètement, dans l’un des systèmes les plus abscons et les plus rationnement incompréhensibles de l’Afrique contemporaine ? Ces personnalités qui peuvent, par leur révélation sur les crimes de Mobutu et par une repentance publique et sincère, nous réconcilier avec notre mémoire et nous permettre de regarder lucidement notre histoire récente, comment se fait-il que personne ne leur demande des comptes sur leur passé politique avant de les remettre en action pour la construction de notre présent et de notre futur ?

Plus curieux encore : pourquoi ces mobutistes de premier plan, formatés tous par des énergies idéologiques d’un
e vision politique précise, représentent-ils maintenant des formations partisanes différentes en s’affrontant dans un jeu démocratique que la presse ose nous présenter comme exemplaire ? Quelle est la valeur de leurs nouvelles convictions par rapport aux convictions qui étaient les leurs il n’y a pas longtemps encore ? Quel genre d’hommes sont-ils et quels principes incarnent-ils dans leur métamorphose problématique et ambiguë ?

Ces questions méritent toute notre attention. Au-delà de l’indignation légitime qu’elles soulèvent en chaque personne qui regarde avec rigueur l’évolution de notre nation, elles renvoient à des interrogations plus fondamentales : celles qui concernent la valeur et le sens de l’engagement politique dans notre pays aujourd’hui.

UN RETOUR DANGEREUX

Le vote qui a conduit Kengo Wa Dondo, Mokolo Wa Pombo et Losembe Batuanyele à la tête du sénat a été divers
ement perçu dans notre pays.

Les personnes désabusées par les multiples mascarades électorales qui ont caractérisé les scrutins présidentiel, législatif et local dans notre pays ont vu dans le revers de l’AMP au sénat un signal d’un réveil démocratique. Elles ont salué ce réveil avec enthousiasme, comme si, tout d’un coup, la route d’un destin vraiment démocratique s’ouvrait enfin devant nos yeux. Le vote ayant été ouvert, juste et transparent, pensent-elles, il n’est pas raisonnable de remettre en question un processus aussi exemplaire.

Cette lecture du scrutin sénatorial est naïve et superficielle. Elle est naïve dans la mesure où elle s’exprime sans avoir en main toutes les données ni maîtriser tous les enjeux de ce qui s’est réellement passé. Elle réduit la démocratie à son expression par le vote sans se demander si le vote ne peut pas être manipulé par des éléments anti-démocratiques p
our des intérêts qui n’ont rien à voir avec les enjeux de profondeur pour la construction de la nation. Je ne pense pas nécessirement à la manipulation par l’argent ni aux interventions des hommes du pouvoir pour « téléguider les choses ». Je pense aux conditions de base sur lesquelles repose la crédibilité d’une élection, c’est-à-dire la situation objective des forces en présence et la capacité pour chaque personne de décider en son âme et conscience.

Vu sous cet angle, le vote sénatorial s’est inscrit dans une situation où l’AMP, ayant déjà tous les rouages de l’Etat, n’avait plus un intérêt vraiment vital à avoir le sénat. Le jeu n’en valait pas la chandelle, pour ainsi dire. On pouvait même se donner le luxe d’amuser la galerie dans un sénat entre les mains d’une personnalité pseudo indépendante. Si cette personnalité est, en plus, plombée par un passé mobutiste, cela donne un peu de sel à une situation politique qui n’en est pas à une contradiction près. Quand les enjeux ne sont pas de taille, le Prince doit tourner la situation à son avantage en se montrant magnanime face aux adversaires. Il construit ainsi une bonne image de son personnage et s’impose com
me un chef admirable et plein de bonté. Machiavel savait cela et je serais étonné d’apprendre que les intellectuels du Pprd ne maîtrisent pas cette règle élémentaire du bon usage de la ruse politicienne. Je suis donc convaincu que le vole du bureau du sénat n’a été démocratique que parce qu’il s’agissait d’une coquille presque vide. Perdre la présidence d’une telle institution quand on a tous les pouvoirs entre ses mains, cela n’à aucune incidence pour le parti du Chef de l’Etat. Ce postulat posé, le reste n’est que jeu d’argent, d’alliances et de géostratégie tribale propres aux sociétés sans culture ni intelligence démocratiques, comme l’est la Rdc aujourd’hui. On ne peut pas nommer démocratie ce jeu, même s’il en a tout l’air de transparence et d’ouverture.

Certaines personnes ont voulu voir dans le vote du bureau du Sénat l’émergence d’une nouvelle force politique
essentiellement mobutiste, qui pourrait s’imposer comme contrepoids aux orientations chaotiques de l’AMP en matière de politique intérieure et extérieure. Il n’en est rien. La vraie signification de ce qui s’est produit au sénat est ailleurs. Elle réside dans le fait que le mobutisme a cessé d’être un parti ou une mouvance politicienne spécifique pour s’affirmer comme un poison que l’on retrouve maintenant dans presque toutes nos grandes alliances politiques : l’UN, l’AMP et bien d’autres. Le fait que le président, le premier vice-président et le deuxième vice-président du sénat sont à la fois des maîtres du sérail mobutiste et des représentants des partis différents montre comment le mobutisme est devenu un type d’esprit partout agissant. On n’a pas besoin de le craindre comme un parti spécifique, il faut le craindre comme poison social qui tuera sans doute la troisième République, dans la mesure où celle-ci se déploiera sous les signes même de ce que les seigneurs de la deuxième République avaient conçu comme organisation dictatoriale, immorale et inintelligente de la société. Je n’ai peur ni de Kengo, ni de Mokolo, ni de Losembe en tant que personnes particulières. Ils n’ont pratiquement plus aucun pouvoir, politiquement parlant. Je n’ai pas peur qu’ils puissent s’organiser en un nouveau grand parti mobutiste qui renforcerait le pouvoir de notre actuel ministre d’Etat chargé de l’agriculture, fils du Maréchal-Président. Ce dont j’ai peur est plus grave : c’est la résurgence des dynamiques destructrices que ces personnages représentent dans leur vision de la politique. Tout le monde dans notre pays connaît ces dynamiques : l’ordre de la terreur, l’institutionnalisation du tribalisme, le pillage organisé du pays, l’enrichissement illicite, la corruption, le vol élevé au statut d’un des beaux-arts, l’absence d’une vision communautaire du destin de la nation, le triomphe de l’incompétence et le recours aux irrationalités fétichistes et maléfiques pour abrutir la population. Tous ces maux de la deuxième République dont on croyait que la troisième République nous guérirait, le retour des mobutistes à l’avant-plan de la scène politique nationale est le signe de leur résurgence, ou de leur omniprésence dans notre société.

A ce plan, on peut considérer que Mobutu est ressuscité et que son ténébreux paraclet s’est emparé de toutes les
institutions de la nation : les partis, le gouvernement, l’assemblée nationale et le sénat. Je suis sûr que ce ténébreux paraclet s’est même emparé de l’âme du Chef de l’Etat actuel, dont la vision du pouvoir devient de plus en plus un poison pour la nation. La mobutisation souterraine ou manifeste des esprits et des institutions est, à mes yeux, le danger profond qui pèse maintenant sur le présent et sur l’avenir de la Rdc. J’ai profondément peur de la résurrection de Mobutu Sese Seko et de l’omniprésence de son nuisible paraclet.

Je n’éprouve pas cette peur seulement parce que le président de la République, son gouvernement et les institutions du pays se rémobutisent au jour le jour dans les fibres de leur être et dans le souffle de leur esprit, mais surtout parce que notre peuple lui-même donne l’impression de se reconfigurer selon la dynamique des anti-valeurs mobutiennes. Qui a « élu » tous les princes du mobutisme qui paradent aujourd’hui dans les institutions de l’Etat ? Notre peuple. Qui incarne les principes par lesquels les seigneurs de l’ancien Parti-Etat se retrouvent « démocratiquement » et en toute impunité a
u cœur du dispositif de gouvernance dans notre pays ? Notre peuple lui-même. Quand je parle de notre peuple, je parle de notre responsabilité collective en tant que Congolaises et Congolais dans la ruine de notre pays. Cette ruine, le mobutisme qui est en nous en est la source principale. Tout au long de la mise sur pied des institutions de la troisième République, nous n’avons pas pu vaincre ce mobutisme au-dedans de nous. Nous ne l’avons pas non plus vaincu ni dans les mentalités et ni dans les règles du jeu de toutes nos élections. Nous ne l’avons pas non plus vaincu dans les structures de nos institutions.

De ce point de vue, la troisième République est un vaste leurre, un mirage au cœur de notre errance dans l’immense désert et dans le vaste champ des misères que constituent à la fois la ruine de notre nation et la décomposition politique de notre société.


L’élection de Kengo, Mokolo et Losembe à la tête du sénat ne sont que l’expression visible de notre incapacité à sortir individuellement et collectivement du mobutisme comme type d’esprit et structure de personnalité sociopolitique. C’est le symbole du sous-développement politique de la Rdc. Ce sous-développement qui gangrène toute notre vie et se traduit visiblement par une politique gouvernementale complètement erratique, un déficit de vision sur ce que nous voulons faire de notre pays, un enfermement mortel dans les petits intérêts privés à court terme et une absence manifeste d’un projet politique d’union de toutes les forces vives de la nation pour bâtir un futur à la hauteur de nos possibilités réelles.

QUE POUVONS-NOUS FAIRE ?

Je suis convaincu que l’exigence de sortir du mobutisme est la condition fondamentale pour construire une troisième
République créatrice et crédible. Pour ce faire, il ne suffira pas de nous enfermer dans les slogans creux sur l’exorcisme collectif comme l’a fait le président de la République il y a quelques mois. Il faut un projet et un processus concret d’éducation de notre peuple aux enjeux de la démocratie pour la construction de notre avenir. Cette éducation est la pierre d’angle du développement politique. Elle impose aux dirigeants une véritable conversion publique grâce à laquelle ils feront voir à toutes nos populations qu’ils placent désormais leur être, leur action et leur vision de notre destinée sous un autre signe que celui du ténébreux paraclet mobutiste. Toutes nos institutions devraient être pensées et organisées selon cette perspective et ses exigences. Et le président de la République devrait devenir le garant de cette orientation radicale de notre vie politique.

Manifestement, nous n’avons pas encore pris cette direction ni dégager cet horizon de notre futur. Il est temps que ceux et celles qui sont convaincus que tel est le chemin de notre avenir fondent véritablement une troisième République. L’enjeu de notre avenir est là.

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