Controverse autour de la révision constitutionnelle / Les dérives d’une Constitution négociée
Une pétition a été déposée le 5 novembre 2007 à l’Assemblée nationale.
Elle porte sur la proposition de
révision des articles 110, 152 et 197
de la Constitution. Réaction opposée immédiate qui voit en cette
démarche une façon de violer la Loi constitutionnelle. Un débat houleux
est instauré, suscitant de la controverse autour de la révision
constitutionnelle.
Le député Tshibangu Kalala a introduit auprès du bureau de l’Assemblée
nationale une proposition de Loi constitutionnelle portant révision des
articles 110, 152 et 197 de la Constitution du 18 février 2006. La
pétition, qui a appuyé cette proposition, a recueillie 310 signatures
des députés de l’AMP. Dans son exposé des motifs, il relève que «
l’article 110 de la Constitution du 18 février 2006 énumère les
événements ou les causes qui peuvent entraîner la fin ou la perte du
mandat de député national ou de sénateur. Parmi ces événements ou ces
causes, le constituant cite, à l’article 110 alinéa 1, point 8 de la
Constitution, l’acceptation d’une fonction incompatible avec le mandat
de député national ou de sénateur. Dans ce cas précis, le député
national ou le sénateur concerné cesse d’exercer son mandat et est
remplacé par son premier suppléant ».
Après s’être attardé sur le sort du député national ou du sénateur,
après la cessation de la fonction incompatible, en relevant que la
Constitution est demeurée silencieuse là-dessus, souligné qu’au regard
de notre système électoral, c’est le député national ou le sénateur qui
est élu, à titre personnel, il affirme que «l’acceptation d’une
fonction incompatible prévue à l’alinéa 1 point 8 de la Constitution
doit être considérée comme un empêchement temporaire et non définitif
qui entraîne une cessation temporaire de l’exercice du mandat
parlementaire. Cette pratique existe dans d’autres pays démocratiques.
Il est donc nécessaire de combler cette lacune qui apparaît à l’article
110 de la Constitution en révisant cette disposition pour des raisons
de cohérence et pour permettre le renforcement et la consolidation de
la démocratie et de l’Etat de droit, la stabilisation du personnel
politique ainsi que l’apaisement de la vie politique dans notre pays ».
Il suggère que soit inséré un nouvel alinéa à l’article 110, qui sera
l’alinéa 6, ainsi libellé : « Un député national ou un sénateur nommé à
toute fonction incompatible avec l’existence du mandat parlementaire
cesse de siéger et reprend celui-ci de plein droit après la cessation
de cette fonction ».
La révision de l’article 152 de la Constitution porte sur la
composition du Conseil supérieur de la magistrature, (CSM). L’auteur de
la pétition affirme que « l’absence du Président de la République et du
ministre de la Justice du Conseil supérieur de la magistrature est une
erreur très grave qui ne peut que créer, à terme, non seulement le
dysfonctionnement sérieux de nos institutions, mais aussi consacre une
incohérence inadmissible au sein de l’ordre constitutionnel ».
Après avoir développé son argumentaire, il propose que l’article 152
alinéa 2 actuel de la Constitution siot abrogé et remplacé par les
alinéas suivants :
« Le CSM est composé du président de la République, du Ministre de la
Justice, des Magistrats et des personnalités indépendantes issues de la
Société civile ».
« Le président de la République préside le CSM. Il peut être remplacé
par le ministre de la Justice qui en est le vice-président » « Une loi
organique détermine la composition, l’organisation et le fonctionnement
».
Enfin, l’article 197 de la Constitution a trait aux immunités en faveur
des parlementaires nationaux. L’auteur de la révision suggère que cette
immunité s’étende également aux députés provinciaux en tant qu’élus du
peuple et créateurs des sénateurs des sénateurs, des immunités pendant
la durée de leur mandat. « C’est donc une erreur et une injustice
inadmissible qu’il convient de corriger », souligne l’auteur de la
proposition portant révision des articles de la Constitution.
REACTION DU SYNDICAT DES MAGISTRATS
Les premiers à réagir sont, bien sûr, les magistrats. Par le biais de
leur syndicat, le Synamac proteste dans cette déclaration de son
président, Nsambayi Mutenda : « les présidents de ces deux institutions
(Ndlr, Assemblée nationale et Sénat) comprennent qu’en leur sein, il y
a des pétitionnaires qui cherchent à induire les autres en erreur,
parce que toute l’Assemblée nationale et tout le Sénat ne sont pas
constitués que par des juristes. De près ou de loin, le président de la
République est toujours impliqué dans le Conseil supérieur de la
magistrature. Faut-il nécessairement sa présence là-dedans ? Ce serait
violer la Constitution de la République qui prévoit des dispositions
précises pour assurer l’indépendance du pouvoir judiciaire ».
Cautionner cette révision, souligne le Synamac, serait institué une «
dictature parlementaire ou une dictature du pouvoir Exécutif ». Car,
relève-t-il que le président de la République « dispose déjà du pouvoir
constitutionnel ; nomme et révoque les magistrats sur proposition du
Conseil supérieur de la magistrature. Il peut remettre, modifier ou
réduire les peines prononcées par le juge. Il a aussi le privilège de
nommer à son initiative trois membres sur neuf de la Cour
constitutionnelle ». Le Synamac qui proteste, a également saisi le
bureau de l’Assemblée nationale dans un mémorandum déposé à ce sujet.
CEUX QUI S’OPPOSENT A LA REVISION
Les défenseurs de la non révision de la Constitution expriment des
craintes quant à l’indépendance de la magistrature et partant, du
pouvoir judiciaire. Ils rappellent le principe de la séparation des
pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) consacré par la
Constitution.
Leur argumentaire est organisé autour des points principaux.
Ils appellent les révisionnistes à relire attentivement l’article 220
de la Constitution. A la lumière de cet article, soutiennent-ils, les
révisionnistes devraient se ressaisir et comprendre qu’ils mènent la
Nation vers un gouffre en annihilant tous les sacrifices consentis pour
mettre en route la démocratie dans notre pays.
Demander l’intégration du président dans le Conseil supérieur de la
magistrature est une démarche qui suscite de nombreuses interrogations.
La Constitution en son article 152 définit le Conseil supérieur de la
magistrature, sa composition et ses missions. Nulle part, il n’est fait
mention du chef de l’Etat. Aussi, demandent-ils aux révisionnistes de
relire les attributions de président de la République. L’indépendance
de la magistrature est garantie par l’article 149 de la Constitution :
« Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du
pouvoir exécutif ».
Ceux qui s’opposent à cette révision soutiennent que la Constitution
fait du chef de l’Etat le magistrat suprême et le garant de la nation.
Ils font observer qu’au vu de l’article 82, le chef de l’Etat « nomme,
relève de leurs fonctions et le cas échéant, révoque, par ordonnance,
les magistrats du siège et du parquet sur proposition du Conseil
supérieur de la magistrature ».
Dans la même lancée, ils objectent que les tenants de la révision
constitutionnelle ne comprennent pas qu’ils remettent en cause la
crédibilité des institutions issues des élections en tenant à réviser
la Constitution en moins d’une année. « Nous devrions tous laisser
cette Constitution adoptée par référendum s’appliquer avant de nous
précipiter à la revoir », ont –ils suggéré. Ils ont même estimé que la
démarche de révision de la Constitution serait dangereuse et qu’il
n’est pas sûr que la population l’approuve.
LA CONTROVERSE
Cette révision constitutionnelle soulève de la controverse. Déjà, au
niveau de l’Assemblée nationale, un autre député avait suggéré que soit
mise en place une commission. Celle-ci aurait pour tâche d’inventorier
tous les articles qui pourraient être susceptibles de révision et de
les soumettre à la plénière de l’Assemblée nationale.
D’autres, par contre, craignent qu’ à cette allure, alors que cette
Constitution ne totalise par encore deux ans d’existence, qu’ elle soit
dépouillée de toute sa substance acquise le 18 décembre par voie
référendaire et devienne une Constitution sur mesure.
La démarche est qualifiée de prématurée dans certains milieux
politiques pour autant qu’elle n’a pas pris en compte le délai de trois
ans soulevé lors des débats pour initier une révision constitutionnelle
afin d’ éviter de déstabiliser les institutions à peine mises en
place..
Cependant, il est important de retenir ce qui est contenu dans cette
Constitution pour éviter des interprétations sélectives sur fond de
clientélisme pour autant que la Constitution ou la loi devra rester «
impersonnelle ».
En effet, pour ce qui est d’article 110, des observateurs relèvent que
les actuels parlementaires se préoccuperaient de leur sort et tiennent
à introduire la notion de « cumul ». En ce qui concerne l’article 152,
l’exposé des motifs, parlant de l’organisation et l’exercice du
pouvoir, point 3, alinéa 10, stipule : « La présente Constitution
réaffirme l’indépendance du pouvoir judiciaire dont les membres sont
gérés par le Conseil supérieur de la Magistrature désormais composé des
seuls magistrats ». Et l’article 220 de la Constitution, Titre VII
traitant de la révision constitutionnelle consacre les faits. Il est
ainsi libellé : « la forme républicaine de l’Etat, le principe du
suffrage universel, la forme représentative du Gouvernement, le nombre
et la durée des mandats du président de la République, l’indépendance
du pouvoir judiciaire, le pluralisme politique et syndical, ne peuvent
faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle.
Est formellement interdite toute révision constitutionnelle ayant pour
objet ou pour effet de réduire les droits et liberté de la personne ou
de réduire les prérogatives des provinces et des entités décentralisées
».
Ce sont là des matières que l’on ne peut toucher. Si par obsession
politique, cela se faisait, ce serait violer de la Constitution.
Par Le Potentiel
Tentative de révision des articles 110, 152 et 197 : Les dérives d’une Constitution négociée
Loi fondamentale d’une nation, la Constitution ne se négocie pas à la
criée comme un article divers. Sa révision non plus ne se fait pas
d’une façon intempestive, au gré des humeurs des « faiseurs de lois ».
Aussi, par respect au peuple congolais tout entier, les parlementaires
devront éviter de succomber à la tentation du « démon de révision »,
prélude à une instabilité constitutionnelle. Et, les organisations de
la Société civile doivent, comme sous d’autres cieux, s’éveiller pour
réfléchir sur l’opportunité de réviser les articles 110, 152 et 197 de
la Constitution à moins de deux ans de sa promulgation.
A moins de deux années de son existence, la Constitution de la
République, promulguée le 18 février 2006 par le chef de l’Etat Joseph
Kabila, est en voie de subir sa première opération chirurgicale : la
révision constitutionnelle. Du coup, certaines organisations de la
Société civile et syndicales sont montées au créneau pour dénoncer la
supercherie. Pourquoi cet empressement de réviser la Loi fondamentale
alors que le processus électoral n’est même pas encore achevé ? A qui
profitera la révision constitutionnelle et quelle est l’urgence à ce
jour ?
Par cette première tentative de révision constitutionnelle –
précisément des articles 110, 152 et 197 – qui se profile à l’horizon,
la volonté du constituant qui a consacré l’indépendance du pouvoir
judiciaire risque aujourd’hui de se voir vidée de tout son sens. Cette
initiative du 4 juillet 2007 est l’œuvre du député national Tshibangu
Kalala, président du groupe parlementaire PDP, membre de l’Alliance de
la majorité présidentielle (AMP).
L’article 110 traite de la fin du mandat de député national ou de
sénateur ; l’article 152 concerne le Conseil supérieur de la
magistrature, tandis que l’article 197 parle des députés provinciaux.
Pourquoi veut-on réviser ces trois articles ?
MOBILE CACHE DE LA REVISION
Pour le premier (art. 110), le pétitionnaire voudrait obtenir que
lorsque prend fin une fonction incompatible avec le mandat de député
national ou de sénateur (ministre, PDG…), que ce dernier puisse
regagner son siège au Parlement, renvoyant ainsi son suppléant hors de
l’hémicycle.
Quant au second (art. 152), l’auteur de la pétition estime que
l’article doit être révisé pour deux options. La première consiste « à
faire du président de la République membre du Conseil supérieur de la
magistrature, au motif qu’il faudrait éviter l’aspect corporatiste de
cet organe et donner au chef de l’Etat, garant du bon fonctionnement
des institutions, l’occasion de donner une orientation politique ; ce
qui d’après la pétition, réduirait les abus et serait appuyé par
certains magistrats ». La seconde option propose la « réduction de la
liste des membres du Conseil supérieur de la magistrature en raison de
sa pléthore tendant à faire de cet organe un autre Parlement national
en lieu et place d’un organe restreint de conception, d’orientation et
de décision ».
Or, l’exposé des motifs de la Constitution est clair : « La présente
Constitution réaffirme l’indépendance du pouvoir judiciaire dont les
membres sont gérés par le Conseil supérieur de la magistrature
désormais composé de seuls magistrats ».
Pourquoi veut-on à tout prix insérer la présence physique du président
de la République au sein de ce Conseil alors qu’il est déjà présent en
tant que celui qui nomme les magistrats ?
Déjà, dans sa déclaration du 29 août dernier, le Syndicat autonome des
magistrats du Congo (Synamac) avait relevé que l’option invoquée par
Tshibangu Kalala « constitue ni plus ni moins une tentative de violer
les dispositions de la Constitution ».
DANGER D’UNE REVISION PREMATUREE
Toujours dans le souci de prévenir le danger d’une révision prématurée,
intentionnée et intempestive, l’article 218 stipule que « pour
préserver les principes démocratiques contenus dans la présente
Constitution contre les aléas de la vie politique et les révisions
intempestives, les dispositions relatives à la forme républicaine de
l’Etat, au principe du suffrage universel, à la forme représentative du
gouvernement, au nombre et à la durée des mandats du président de la
République, à l’indépendance du pouvoir judiciaire, au pluralisme
politique et syndical ne peuvent faire l’objet d’aucune révision
constitutionnelle ».
Le danger que comporte la révision de l’article 152 est double : non
seulement « l’indépendance du pouvoir judiciaire » figure parmi les
matières ne pouvant faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle,
mais aussi cette opération ouvrira les vannes à toute une série
d’articles qui attendent d’être révisés pour des intérêts partisans.