Le réveil du Katanga ? En attendant les Chinois...
Ce n'est désormais plus des Européens mais des Chinois que les
Congolais attendent le développement. Le problème est que, précisément,
ils attendent.
Reportage
Kasumbalesa ressemble à une ville du Far West. Echoppes malingres,
hôtels sordides, kiosques de téléphonie mobile, temples de sectes
religieuses et pharmacies se pressent des deux côtés de la route qui,
sur plusieurs km, servent de parkings à camions. La ville, sur la
frontière Congo-Zambie, est en effet le principal poste d'entrée et de
sortie des marchandises au Katanga, en plein boom minier.
Ici, un camion d'explosifs est garé en double file le long de trois
transporteurs de carburant. Là, des véhicules chinois attendent au côté
des poids lourds rouges "Hakuna matata" (pas de problème, en swahili)
du gouverneur du Katanga. Les autorités douanières ne laissent passer
les poids lourds que vers 16h, pour éviter qu'ils encombrent la route
de Lubumbashi la journée; longue d'une cinquantaine de km, elle compte,
en effet, plusieurs tronçons en très mauvais état.
"Il faut 106 millions de dollars pour la réhabiliter", nous explique le
gouverneur élu de la province, Moïse Katumbi. "Et nous ne les avons
pas. Kinshasa a donc passé un contrat avec une entreprise chinoise pour
qu'elle refasse la route en échange du péage de Kasumbalesa."
M. Katumbi, en poste depuis 9 mois, a, par une bonne gestion, amené les
revenus de ce péage de 300 000 à 2 millions de dollars par mois. Depuis
la mi-février, "lorsque leur matériel est arrivé", les Chinois ont reçu
le contrôle du péage.
Gigantesque embouteillage
Aujourd'hui, à 18h, en cette fin de saison des pluies, un gigantesque
embouteillage bloque complètement la voie : plusieurs camions se sont
embourbés sur un tronçon de terre à la sortie de la ville. Quelque 250
mastodontes sont immobilisés (ils le resteront durant près de 24 h)
avec des jeeps et des autos. On discute à grands gestes dans la nuit
tombante. Des flots de jeunes chauffeurs dépenaillés vont aux
nouvelles. Les moteurs fument et la tension monte. On crie, des claques
volent. Des jeunes gens chanvrés font de grands discours agressifs;
d'autres retrouvent des amis et discutent, la main dans la main.
Attirées par la perspective de clients, des belles de nuit se faufilent
entre les véhicules, repassant très vite en sens inverse, suivies
d'amateurs. Des vendeurs de biscuits mettent l'aubaine à profit. Un
chauffeur, fataliste, allume un feu au pied de son véhicule. Des
groupes circulent en huant "les Chinois".
Ceux-ci sont l'objet de tous les espoirs des Congolais depuis
l'annonce, en septembre 2007, de la signature d'un contrat (voir
www.lalibre.be 07/12/07) par lequel des firmes chinoises s'engagent à
construire des infrastructures (routes, logements, chemin de fer...) en
échange de mines. Selon un avenant au contrat, les constructions
représenteront une valeur de 15 milliards de dollars; les 8 millions de
t de cuivre réclamées en échange dans le seul premier contrat valent,
elles, 64 milliards de dollars, sans compter les 200000 t de cobalt
(19000 dollars la tonne) et les 370 t d'or (1000 dollars l'once)
revendiquées par les Chinois.
"Le Congo doit payer 440 millions de dollars au Fonds monétaire
international (FMI) pour être accepté comme pays pauvre très endetté",
explique Eric Monga, expert minier. "La population, fâchée, veut que
cet argent serve à la sortir de la pauvreté. C'est pour pallier cette
exigence que le gouvernement a signé les contrats chinois."
"Quand les premiers arpenteurs chinois sont arrivés à Kinshasa, il y a
quatre mois, c'était la folie générale", poursuit-il. "Les gens étaient
impatients d'avoir des routes, même si cela doit coûter 2 ou 3 fois
plus cher que la norme. Puis, l'attente est retombée : les gens ne
veulent pas savoir que cela prend du temps..."
Pour certains Kinois de la rue, cependant, "ces contrats sont une
erreur : les milliards des Chinois seront bouffés (détournés, en
langage populaire) aussi vite que ceux venus des Européens"...
"On attend tout d'eux"
Les contrats chinois ont "enorgueilli le pouvoir", remarquent Eric
Monga et des observateurs : "Enfin des chiffres à la taille du Congo !"
Dans les capitales étrangères, on note que, depuis la signature des
contrats, Kinshasa a snobé plusieurs réunions internationales.
"La signature des contrats chinois est la seule nouveauté de cette
première année de gouvernement Gizenga", note, pour sa part, le député
d'opposition (MLC) Delly Sesanga Hipungu. "Mais le gouvernement est
naïf : il croit que les Chinois sont désireux de nous développer, ce
qui nous épargnerait l'effort de transformer notre société. On attend
tout d'eux..."
Un autre député d'opposition, le démocrate-chrétien Gilbert Kiakwama,
met en garde. "Les crédits chinois, c'est bien. Mais cela doit être
fait dans la transparence; or, une opacité complète règne. Ceux qui ont
tripoté les autres contrats sont encore au pouvoir. Le parlement n'a
pas encore reçu les contrats chinois; nous les attendons - et,
s'agissant de l'opposition, de pied ferme."
A Lubumbashi aussi, l'heure est à l'expectative face aux Chinois. "On
les fait venir. Mais saura-t-on les forcer à partir le jour où on n'en
voudra plus ?", s'interroge un ingénieur congolais.
Deux sortes de Chinois
"Il y a deux sortes de Chinois", souligne le gouverneur du Katanga,
Moïse Katumbi. "Ceux qui sont là pour les contrats signés avec le
gouvernement. Et les autres, installés depuis plusieurs années au
Katanga, où ils ont de petites unités métallurgiques."
Les autorités katangaises "tombent" parfois sur des entreprises
chinoises non déclarées. "Quand on dénonce une de ces sociétés, je suis
à leur porte à 7h du matin", confirme le gouverneur. "Et on voit une
nuée de Chinois fuir par les portes, les fenêtres, sauter par-dessus
les murs, se cacher dans des sacs... Parce que j'arrête les illégaux et
les patrons qui ne fournissent pas les conditions de travail légales.
Il y en a qui donnent 20 dollars/mois (15 euros ) de salaire ! Parfois,
les Chinois qui travaillent au four ont une protection d'amiante et les
Congolais, non... Mais, en général, ils donnent très peu d'emplois aux
Congolais; même le jardinier est Chinois !", s'indigne le M. Katumbi.
Selon ce dernier, l'ambassade de Chine l'a encouragé à expulser 306
illégaux chinois qu'il avait fait arrêter.
"Les Européens ne font rien au Congo parce que les banques occidentales
posent trop de conditions lorsqu'il s'agit de financer un projet au
Congo", explique, pour sa part, l'industriel belge George Forrest. "Les
Chinois prennent la place, avec des financements faciles de leurs
banques. Et c'est normal : la nature a horreur du vide."
Envoyée spéciale au Katanga
Marie-France Cros