Rentrée parlementaire au Sénat. Léon Kengo : « Personne n’a le droit de lutter contre l’ordre établi »
Discours direct, sans faux-fuyants. Léon Kengo wa Dondo, président du
Sénat, n’est pas allé par le dos de la cuillère pour marquer de façon
remarquable cette rentrée parlementaire de la session du mois de mars.
Un diagnostic sévère, sur un ton de la fermeté, comme pour provoquer un
déclic dans le but de donner une nouvelle impulsion à l’action des
institutions nationales au regard de nombreux enjeux. Après avoir
brossé un tableau sombre sur le plan politique, économique, sécuritaire
et social, il a longuement insisté sur l’ordre établi que personne n’a
le droit de lutter contre cet ordre. Une façon catégorique d’insister
sur l’affirmation de l’autorité de l’Etat, le respect des textes et
lois de la République et la redynamisation de l action du gouvernement
par l’accélération des réformes. Réaliste, Léon Kengo wa Dondo,
président du Sénat, a mis un point d’honneur à son discours en ramenant
tous les élus sur terre, quasiment à mi-parcours de cette législature.
Trêve donc de rêve. Le compte à rebours a effectivement commencé.
Les analyses n’ont pas été démenties. Le 15 mars 2008 qui a été
caractérisé par la rentrée parlementaire de la session du mois de mars,
demeure bel est bien une date cruciale. Preuve ? Elle a été émaillée de
deux importants discours de circonstance prononcés respectivement par
Vital Kamerhe et Léon Kengo wa Dondo, respectivement présidents de
l’Assemblée nationale et du Sénat.
Si ces deux personnalités ont annoncé les couleurs de ce que sera cette
session parlementaire, s’appuyant sur un ton ferme pour peindre ce
tableau sombre de la situation politique, économique et sociale, ils
n’ont pas usé des mêmes mots ni d’un même style. Ce qui fait justement
la différence.
Le président du Sénat a porté un plus dans son diagnostic sévère, sans
complaisance pour souligner la gravité de la situation, interpeller
toute la classe politique en vue d’une meilleure prise de conscience
devant « toutes ces crises multiformes au plan politique, économique et
social ». Que les défis sont là, doublés d’enjeux inéluctables à
maîtriser et qui imposent une lecture sereine de la situation. Le
président du Sénat le dit mieux en ces termes : « Un pays post-conflit
comme le Congo appelle des réformes. Pour ce faire, il a besoin de
toutes les institutions et les hommes qui l’animent. Ils ont besoin de
leur tête pour réfléchir, orienter, décider. Le doute n’est pas permis.
Encore moins la distraction. Le bilan sera, soit leur allié, soit leur
ennemi ».
DE L’AUTORITE DE L’ETAT
En abordant le chapitre politique, le président du Sénat a tenu à
rappeler le sens des élections de 2006 qui devraient ouvrir une ère de
paix, de bien-être et de mieux-être. Malheureusement, les événements du
Nord-Kivu où l’entend de nouveau les bruits de bottes et l’odeur de la
poudre ; la situation sécuritaire précaire en Ituri, le phénomène
Mbororo dans le Haut et Bas-Uele, les événements du Bas-Congo avec les
adeptes du Bundu dia Kongo… portent atteinte à la propriété privée, à
l’intégrité physique de l’habitant et exaspèrent les tenions. Il
n’oublie pas les provinces apparemment calmes mais où règnent
l’insécurité et l’abus de droit. « L’ordre public s’en trouve partout
troublé. L’Autorité de l’Etat ébranlée », a-t-il reconnu.
Il réaffirme que personne n’a le droit de lutter contre l’ordre établi
et insiste sur le fait que s’il y a des imperfections, le mieux que
l’on puisse faire serait d’aider à les changer. « Seule la puissance
publique à travers l’Exécutif, le Judiciaire, les Forces de l’ordre
peut le faire conformément à notre droit positif », a-t-il enchaîné.
ACCELERER LES REFORMES
Cependant, cette puissance publique ne peut s’affirmer dans un pays
post-conflit qu’en s’appuyant sur des réformes. Le président du Sénat
s’y est attardé en relevant les initiatives entreprises par le
gouvernement pour des réformes au niveau de l’Armée, de la Sécurité, de
la Justice et du Portefeuille. Mais il souhaite vivement que ces
réformes soient accélérées ; que l’on quitte les sentiers d’effets
d’annonce, du fait accompli et de l’auto-satisfaction. Fait accompli
avec les nominations intervenues dans le domaine de la Justice et du
Portefeuille alors que des projets de loi ont été votés ou en voie de
l’être. Des nominations décidées sur base d’anciennes lois sans tenir
compte de la Constitution, de l’esprit et de la lettre des réformes.
Et de s’interroger si ces nominations sont-elles provisoires ou
définitives. « Les réformes ne se résument pas aux remplacements des
anciens par des nouveaux animateurs, mais doivent au travers des textes
législatifs et réglementaires montrer la volonté déterminante du
changement. Dans l’histoire, la réforme c’est le changement réussi
parce que progressif donc acceptable, durable. Mais la réforme, c’est
la seule justification de la politique, une fois exclu le plaisir
tellement commun que procure l’exercice égoïste du pouvoir », a-t-il
relevé.
Une façon de condamner l’auto-satisfaction soutenue par un clientélisme
suicidaire. Voilà pourquoi, affirme-t-il, que le « réformateur doit
créer, maintenir les équilibres entre le politique, l’économique et le
social qui constituent, du reste la meilleure garantie pour la
démocratie ».
DERAPAGES ECONOMIQUES
Il en est donc arrivé à évoquer les points liés au chapitre économique.
Contrairement au discours « triomphaliste » du gouvernement, le
président du Sénat a exprimé plutôt des inquiétudes devant les
dérapages économiques caractérisés de ce début de l’année 2008,
alimentés notamment «par la reprise des poussées inflationnistes du
fait des déficits budgétaires accumulés à la fin du dernier trimestre
de l’année 2007 ».
Ainsi le taux d’inflation en projection annuelle a atteint 16% en
janvier 2008 contre un objectif de 10%. De même le taux de change au
marché a franchi la barre de 560 FC contre le taux moyen de 500 FC. «
Ces chiffres nous interpellent tous à cause de leur incidence sur le
pouvoir d’achat de notre population. Il est temps que le pays s’engage
résolument sur la voie du redressement économique et social », a-t-il
insisté avant d’inviter le gouvernement à « améliorer le niveau de
recettes et à redimensionner le train de vie de l’Etat, en veillant à
une bonne adéquation entre les moyens et les besoins ».
Aussi, a-t-il annoncé que le Sénat a diligenté une mission d’enquête au
cours de cette session. Mais il espère que la priorité du gouvernement
sera la reprise du programme d’ajustement structurel avec les
institutions de Bretton Woods, tout en prenant en compte les rapports
des autres partenaires sociaux ; notamment la Fédération des
entreprises du Congo, FEC. Un rapport qui proposait une thérapeutique
radicale pour la relance de l’économie.
Apparemment, le gouvernement n’en a pas tenu compte. Or, il faut
atteindre le point d’achèvement de l’initiative PPTE pour bénéficier de
l’annulation de 9 milliards de dollars et accéder aux facilités
élargies du Groupe consultatif sur la RDC estimées à 4 milliards de
dollars US.
Il a saisi cette opportunité pour dénoncer cette tendance à une gestion
opaque de l’Etat. Particulièrement en ce qui concerne le prêt chinois
pendant que le Parlement est sous-informé des termes de ce contrat qui,
d’une manière ou d’une « obèrent les finances publiques ». Il invite
par conséquent le gouvernement à la transparence qui ne doit pas
seulement « être de rigueur, mais doit faire partie de la bonne
gouvernance ».
REALITES SOCIALES PENIBLES
Evidemment, ce tableau sombre serait incomplet si le président du Sénat
ne s’était pas attardé sur le Social. Un social avec ses « réalités
quotidiennes pénibles » : un déficit chronique en électricité et en eau
potable alors que la RDC possède l’un des grands barrages électriques
du monde et dispose du deuxième fleuve du monde. Aujourd’hui, l’on
assiste à la résurgence d’épidémies autrefois éradiquées : la
tuberculose, la poliomyélite, la lèpre, la maladie du sommeil. Pire, le
système de santé primaire jadis prospère en Afrique est maintenant
inopérant.
A cela s’ajoute, dans la capitale, une voirie urbaine « devenue un
chantier ». N’en parlons pas du système éducatif désarticulé. Il a émis
des suggestions et insisté sur l’urgence d’opérer une réforme profonde.
Il est revenu sur les Accords de Mbudi pour souligner la situation
salariale des agents et fonctionnaires d’Etat. Il a épinglé dans le
même registre le cas des professeurs, des Médecins, du personnel
paramédical, des soldats, des policiers, une situation qui demeure
préoccupante. « Il n’y a pas motif à se réjouir lorsque l’on observe un
autre phénomène, celui des grèves qui paralysent le pays, bloquent son
fonctionnement, étranglent l’économie et asphyxient la population »,
a-t-il signalé avant d’inviter le gouvernement à poursuivre des
négociations avec les partenaires sociaux pour une sortie de crise.
RENDEZ-VOUS DANS TROIS ANS
Le point d’orgue de ce diagnostic demeure ce réalisme politique du
président du Sénat de ramener tout le monde sur terre. «Il ne nous
reste plus que trois ans. Avec le quinquennat, l’unité de décompte de
l’action politique ne sera plus l’année, mais le mois, la semaine, le
jour, l’heure. La vie politique obéit, elle aussi, à des règles
biologiques qui sont une contraction dans le temps des règles des
hommes. Une fois encore, le temps restera le grand vainqueur. Nous
devons donc faire vite et bien, car c’est par notre bilan qu’on nous
jugera ».
Faire vite et bien, Kengo soutient l’initiative du chef de l’Etat
d’instituer « la réunion interinstitutionnelle dont la mission est de
concilier, d’harmonier les points de vue au sommet de l’Etat et de
veiller ainsi à son bon fonctionnement. Dans cette optique elle devrait
être une structure d’impulsion et d’arbitrage ». Le président du Sénat
constate malheureusement que cette réunion interinstitutionnelle « n’a
pas encore donné toute sa mesure ». Et les observateurs avertis
craignent que l’on assiste « à une gouvernance sans partage »
susceptible de conduire à des dérives.
Enfin, il s’est attardé sur le rôle de la femme, la matière à traiter
par le Sénat, notamment les projets et propositions de lois votés à
l’Assemblée nationale et transmis au Sénat avant d’appeler à l’amour du
prochain et à la solidarité nationale pour une belle leçon « d’identité
tolérante ». Et de conclure en ces termes : « De la diversité et de la
différence, nous devons apprendre à tirer le meilleur : « S’il y avait
pas de montagnes, les plaines n’apparaîtraient pas ».
C’est tout dire. Par Le Potentiel